RINO MORIN ROSSIGNOL:
LE SILENCE DU MILIEU CULTUREL ACADIEN
Les médias américains qui aiment tant les hyperboles – tout comme leur président d’ailleurs – sont comblés ces tempsci: des ouragans d’une ampleur jamais vue qui créent des dommages jamais vus, y compris mettre à plat au grand complet une île-État.
Du jamais vu encore: des footballeurs qui protestent, genou en terre, contre le racisme insidieux dans le pays, au lieu de se tenir au garde-à-vous devant la bannière étoilée et, en réponse, des fans qui régurgitent des slogans creux célébrant l’invincibilité d’une armée qui a perdu toutes ses guerres depuis celle du Vietnam!
Jamais vu, toujours: une Maison-Blanche dans tous ses états, où grands stratèges, grands conseillers et grandes gueules entrent par une porte et sortent par l’autre. Sans compter les multiples enquêtes des médias, du FBI, et de plusieurs comités du Sénat et de la Chambre des représentants au sujet de magouilles russes pour influencer le dénouement de la dernière campagne présidentielle américaine, des apparentes malversations d’éminents personnages de l’administration, de même que des jeux de coulisses louches des géants du numérique.
Et bien sûr: un président inepte comme le monde n’en a jamais vu!
Beau tableau d’une Amérique bordélique, vous dis-je.
À côté de cette réalité dépassant toutes les fictions inimaginables du cinéma hollywoodien, le Canada fait coti avec ses petits attentats terroristes de série B, mettant toujours en vedette quelque «loup solitaire» souffreteux, comme l’ânonnent les responsables de la sécurité publique et les médias afin de ne pas effrayer ce bon peuple canadien caracolant dans son histoire nationale comme une biche effarée surgissant sur votre pelouse un bon matin.
Le Canada qui a fait coti aussi la semaine dernière en mettant en vedette une ministre de la culture déguisée en Jeanne d’Arc grimpée sur un bûcher des vanités pour défendre à coup de lieux communs et d’interjections bureaucratiques une entente avec Netflix incompréhensible au départ et devenue carrément loufoque après ses explications.
La ministre Joly, qui tente vaillamment de manier une langue de bois défiant toute syntaxe, semble croire que l’artificiel et le superficiel constituent les assises profondes de la culture. Elle confond la mode et la culture.
La culture n’est pas un effet de mode, et ne peut se résumer à quelques mots en vogue judicieusement placés dans des phrases vides pour faire semblant de dire quelque chose.
Derrière les mots, il doit y avoir une pensée. Et derrière la pensée, il doit y avoir une réflexion. Quelqu’un pourrait-il en informer la ministre?
Quant à Netflix plus précisément, on peut débattre en long et en large des vertus d’une exemption fiscale qui serait compensée par un engagement de la part de Netflix d’investir 500 millions $ sur cinq ans dans la production de contenu canadien.
La ministre y voit un geste innovateur, tout en arguant que les pays ne peuvent pas imposer de taxe sur la valeur ajoutée à un géant du numérique tel que Netflix. Mais dans une chronique du 30 septembre, parue dans La Presse+, Alain Dubuc réfute cet argument en soulignant que les vingt-huit pays membres de l’Union européenne, de même que la Norvège, la Suisse, l’Islande, la Russie, le Japon, la Corée du Sud, l’Inde, la Nouvelle-Zélande, l’Australie, l’Afrique du Sud, entre autres, imposent bel et bien une taxe de vente à Netflix, même si les modalités d’application et de perception peuvent varier d’un État à l’autre.
Bordélique Amérique. Je parle des États-Unis, bien sûr, là où tout est toujours plus gros, plus beau, plus faux! Et c’est ironique que ce soit dans la ville des bordels qu’ait eu lieu la plus grande tuerie de l’histoire de ce pays.
Quoi qu’il en soit, nonobstant ces duels de spécialistes, ça ne prend pas la tête à Papineau pour comprendre que si le futur Netflix Canada n’y est pas tenu par une condition sine qua non à cet égard, le contenu francophone risque de recevoir encore moins que la portion congrue de cet investissement promis d’un demi-milliard de dollars, parce que la ministre du Patrimoine n’a pas jugé utile de verrouiller une telle disposition dans l’entente annoncée avec Netflix.
Faut-il s’en étonner? N’est-elle pas la ministre responsable de la société Radio-Canada dont le pendant anglophone a produit, pour célébrer le 150e anniversaire de la Confédération, une histoire du Canada qui oblitérait carrément la présence acadienne du récit national, alors que c’est justement par ce bout de la lorgnette que doit commencer toute histoire de l’établissement permanent des Européens au Canada?
Devant le scandale provoqué par ce torchon télévisuel, quelqu’un a-t-il aperçu la ministre Joly grimpant aux barricades pour défendre bec et ongles l’Acadie, ou même la francophonie canadienne? Pourquoi irait-elle maintenant se fendre en quatre devant un géant mondial qui l’impressionne, alors qu’elle peut continuer à surfer sur des tapis rouges auprès d’un premier ministre rompu à l’art du pétillement synthétique?
Non sans surprise, j’ai noté que le milieu culturel acadien est resté assez discret devant cette énième gifle fédérale à la francophonie canadienne. À l’exception du cinéaste Phil Comeau qui «fulminait», selon un article du journal daté du 29 septembre, les autres intervenants semblent dans l’attente de plus d’information.
Mais compte tenu des amitiés particulières entre le milieu culturel acadien et tout ce qui est estampillé «rouge libéral», il n’y aura pas de guerre civile. N’ayez crainte.
L’Acadie saura, encore une fois, faire honneur aux miettes qui lui seront lancées. Déportée une fois, dépossédée toujours. En réalité, ça fait mal de voir un peuple si fier manifester autant de reconnaissance envers ceux qui lui mangent la laine sur le dos. Conséquence navrante d’une histoire bordélique.
Bordel, je vous dis. Oui, ici comme ailleurs, notre civilisation est entrée dans une tourmente où les valeurs fondamentales d’antan sont troquées contre des illusions évanescentes à venir, et où la vérité du réel ne fait plus le poids devant un miroitement aussi artificiel que virtuel. Bienvenue au bordel! Han, Madame?