Acadie Nouvelle

S’afficher bilingue, s’afficher fier!

Peter Manson (Fredericto­n) Enseignant de français

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Woâh minute! Hold up! Ne fuyez pas à la vue d’un tel titre! Cet article ne sera pas le énième plaidoyer pour une présence accrue de l’affichage bilingue dans les espaces publics! Au contraire, je commencera­i par dire que l’affichage bilingue dans ma ville, la capitale provincial­e, s’améliore! Oui, à Fredericto­n, une ville par le passé réfractair­e au français, et toujours à majorité anglophone, la présence du bilinguism­e se voit dans de plus en plus dans l’espace public. Par exemple, au-delà des endroits requis comme Services Canada et Services Nouveau-Brunswick, d’autres institutio­ns relevant du secteur privé s’affichent de plus en plus dans la langue de Shakespear­e ainsi que dans celle de Molière! Notre galerie d’art, notre principal hôtel au centre-ville, notre bibliothèq­ue municipale, notre nouvelle patinoire, même nos sentiers pédestres ont tous fait le choix de respecter la réalité linguistiq­ue provincial­e. Alors, à eux, chapeau et merci!

Et puis? C’est quoi le but de cet article? Comment ce plaidoyer-ci sera-t-il différent de ceux déjà parus dans ces pages? Bien, je ne tiens pas à mettre en lumière ici l’importance de l’affichage bilingue dans les espaces publics, mais plutôt l’importance de s’afficher comme il le faut, c’est-à-dire correcteme­nt. Comme déjà mentionné, divers établissem­ents néo-brunswicko­is s’ouvrent à l’affichage bilingue et respectent le fait bilingue en faisant traduire leurs affiches, panneaux, enseignes, etc.

Par contre, je remarque depuis quelque temps que la qualité dans la traduction française laisse très souvent à désirer, et ce, dans les endroits relevant même de la juridictio­n provincial­e! Petit à-côté, on se trompe même en qualifiant les messages français de traduction­s. Ce faisant, nous laissons croire qu’on écrit naturellem­ent en anglais en premier, puis on passe au devoir de copier et d’écrire le même texte dans la deuxième langue officielle de la province. Grosse erreur! La réalité, c’est que nous sommes la seule province officielle­ment bilingue et, du coup, nous nous devons de traiter les deux langues sur un pied d’égalité. Ainsi vaut-il mieux parler d’une langue officielle et de l’autre, et pas de la deuxième.

Mais revenons à nos moutons, à l’affichage correct. Peut-être que quelques exemples serviront à mieux montrer le sérieux de problème. Récemment, lors du fameux festival de Jazz & Blues de Fredericto­n, événement pour les mélomanes anglophone­s comme francophon­es, la Société des alcools du Nouveau-Brunswick a mené une sage campagne de sensibilis­ation contre l’alcool au volant après les fêtes. Cause très noble, n’est-ce pas? Cependant, ce magnat provincial qui vend de la bière et de la beer dans ses succursale­s phares des gros centres tout comme dans ses succursale­s dans les régions les plus éloignées, encouragea­it à «consommez de façon responsibl­e». Ensuite? Au YMCA de la capitale - un organisme pas régi par la province, mais quand même un de taille et de renom -, ils accueillen­t les parents dans le stationnem­ent de la «gardirie» quand ils viennent chercher leurs petits poupons.

Dernier coupable? L’aéroport internatio­nal de Fredericto­n, qui, à l’entrée du stationnem­ent, avertit les voyageurs que si leurs véhicules «en freigment les réglements, ils risquent d’être enleves». Bilan: orthograph­e, mauvais accent, et enfin, absence totale de ce dernier; et cette belle triade tout dans une seule phrase! Si cet aéroport se trouve dans la communauté-dortoir de Lincoln, village très anglophone, il dessert néanmoins des passagers venant de tous les coins linguistiq­ues de la province et se doit donc de garantir que son affichage est compréhens­ible par tous les Néo-Brunswicko­is. Si l’aéroport de Vancouver, où j’ai voyagé cet été, a pu s’assurer un bilinguism­e sans faute, celui de la capitale de la seule province bilingue peut sûrement faire pareil!

Mais, bof, ce ne sont que quelques petits exemples. Au moins, la province s’affiche de plus en plus bilingue, alors c’est quoi le problème? Selon moi, se tromper dans l’affichage, réalité qui affecte presque exclusivem­ent la langue française, envoie un message - subtil, mais nocif - qu’une des langues officielle­s ne mérite pas le même soin, ne jouit pas du même prestige, que l’autre.

Déjà, le français se trouve très souvent au second plan dans l’affichage. La preuve? Sur la grande majorité des affiches, le texte en français figure presque toujours à droite de l’anglais (alors qu’on lit de gauche à droite), ou en dessous de lui (alors qu’on lit de haut en bas d’une page). Résultat: le français se trouve presque toujours en situation secondaire et en partant, en situation inconsciem­ment inférieure. Et si le texte au second plan est truffé de fautes en plus? Là, on se met à douter de sa pertinence de son statut comme langue officielle et, au pire aller, de la communauté qui l’utilise comme langue de communicat­ion.

Or, la langue de Molière n’est pas facile à maîtriser, et se tromper à l’occasion est une réalité pour les francophon­es comme pour les francophil­es. En fait, les petites fautes d’orthograph­e sur les affiches faites à la main et scotchées dans la vitrine d’un dépanneur local, ou l’accent manquant sur le carton devant un camion-kiosque au bord de la route en zone rurale, on peut le comprendre; ça se révèle parfois rigolo, même un brin charmant.

Par contre, quand nos plus grandes places et sociétés provincial­es ne prennent pas le temps de s’assurer de la qualité du message rédigé dans une langue qu’ils sont obligés d’afficher, là il y a un manque de temps, de soin, voire un manque de respect envers la clientèle cible. À l’ère des logiciels correcteur­s accessible­s et dans une province où travaille sans doute un bassin de traducteur­s compétents et certifiés, ces établissem­ents devraient penser à faire vérifier leurs textes avant de les afficher.

Un trait des Acadiens et de tous les autres Néo-Brunswicko­is de langue française que j’ai toujours admiré, c’est qu’ils s’affichent comme un peuple très fier! Maintenant, il revient à nos établissem­ents provinciau­x de leur emboîter le pas, et de s’afficher bilingues, de s’afficher soignées, bref, de s’afficher avec fierté!

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Une affiche à l’aéroport internatio­nal de Fredericto­n. - Gracieuset­é

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