Trudeau a laissé tomber Gallant
L’alliance de Brian Gallant et de Justin Trudeau a été bénéfique pour le Nouveau-Brunswick. Des projets de plusieurs millions de dollars qui étaient perdus dans les limbes ont débloqué depuis que les deux hommes se sont retrouvés au pouvoir en même temps. Par contre, force est de constater que dans le dossier d’Énergie Est, Brian Gallant n’a pas pu compter sur son proche allié au moment le plus crucial.
TransCanada a annoncé qu’elle enterrait Énergie Est. Le tuyau de 15,7 milliards $ devait permettre d’acheminer chaque jour 1,1 million de barils de pétrole des sables bitumineux albertain jusqu’à Saint-Jean.
Nous l’avons déjà écrit par le passé, le principal responsable de l’échec est le promoteur même du projet, TransCanada. Encore aujourd’hui, il est stupéfiant de constater que l’entreprise a géré ce dossier de plusieurs milliards de dollars de façon aussi amateur. C’est un peu comme si ses dirigeants étaient convaincus que leur projet était si grandiose que personne n’oserait s’y opposer, outre quelques environnementalistes.
Nous aurions cru que TransCanada ne laisserait rien au hasard. Elle a plutôt fait exactement le contraire. Le premier tracé proposé a été vertement critiqué, si bien qu’elle a dû effectuer pas moins de 700 modifications. Ce fut trop peu trop tard. De nombreuses inquiétudes ont jailli par rapport aux risques de contamination de l’eau potable dans l’éventualité d’une fuite.
Ce danger n’était pas que théorique. L’oléoduc devait traverser des ruisseaux et des rivières au N.-B. à 271 reprises. Malgré tous ses milliards, TransCanada n’a jamais été en mesure de rassurer la population à cet effet.
Une autre controverse a enlevé à TransCanada ce qui pouvait lui rester de capital de sympathie. Son consultant Jean Charest (un ancien premier ministre du Québec dont le gouvernement a été éclaboussé par des scandales de corruption) a rencontré en secret deux commissaires de l’Office national de l’énergie, ce qui a discrédité le processus.
C’est cela qui a poussé Justin Trudeau à mettre fin aux audiences de l’office, puis de recommencer à neuf. Il en a ensuite ajouté une couche, en ordonnant pour la première fois que les commissaires tiennent compte dans leur analyse des effets que pourrait avoir le projet d’oléoduc sur la production de gaz à effet de serre.
Ces obstacles n’étaient pas insurmontables. Le problème est que l’environnement dans lequel baigne l’industrie pétrolière a beaucoup évolué depuis quatre ans. À l’époque, le prix du baril de pétrole tournait autour de 90$. Il a depuis diminué de moitié et rien ne laisse croire qu’il remontera de sitôt aux mêmes sommets. De plus, il y a eu entretemps un changement de gouvernement aux États-Unis. L’oléoduc Keystone XL, qui doit transporter le pétrole canadien jusqu’au Texas, avait été rejeté par le président Barak Obama, mais est accueilli avec enthousiasme par son successeur Donald Trump.
Bref, Énergie Est est devenu à la fois moins urgent et moins rentable. La véritable raison pour laquelle le projet a été abandonné, elle est là.
Dans ce dossier, le premier ministre Justin Trudeau était pris entre les provinces de l’Ouest qui réclament de nouveaux oléoducs et le Québec qui s’y oppose avec véhémence. Il a fait son lit. M. Trudeau a annoncé l’année dernière qu’il autorisait la construction du projet Trans Mountain, un nouvel oléoduc qui reliera l’Alberta à la côte ouest canadienne, ainsi que le remplacement de la vieillissante Ligne 3, en direction du Wisconsin. De cette façon, il a pu apaiser un tantinet ses électeurs de l’Ouest et l’industrie pétrolière.
Le premier ministre ne s’est par ailleurs jamais formellement opposé à Énergie Est. En approuvant de nouveaux oléoducs dans l’Ouest canadien et en imposant de nouvelles conditions dans l’Est, il s’assurait toutefois d’éviter d’en découdre avec le Québec, lequel pèse beaucoup plus lourd que le NouveauBrunswick.
Justin Trudeau n’a pas mis tout son poids dans la balance. Il n’a pas causé l’échec du projet. Mais il n’a pas non plus tout tenté pour le sauver.
Les conséquences économiques sont lourdes pour le Nouveau-Brunswick. Des milliards échappent à notre économie. Le président de Irving Oil, Ian Whitcomb, a déclaré que le Nouveau-Brunswick et le Canada venaient de perdre «l’occasion d’une vie».
La déception était aussi palpable à Fredericton. Le premier ministre Brian Gallant misait sur ce projet pour relancer l’économie de la province.
La conclusion à tirer est on ne peut plus claire: le Nouveau-Brunswick ne pourra compter sur un sauveur pour le tirer par magie du marasme économique. Nos politiciens devront miser sur autre chose, lors de la prochaine campagne électorale, pour convaincre les travailleurs et les chômeurs qu’ils peuvent améliorer leur sort.
Avant de pleurer sur les retombées et les emplois perdus, rappelons toutefois que l’initiative, telle que présentée, était bien imparfaite. Tout cet argent n’aurait pas pesé bien lourd dans la balance le jour où une importante source d’eau potable aurait été contaminée durablement par un grave déversement.