Acadie Nouvelle

Zimbabwe: coup d’État en douceur?

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L’armée du Zimbabwe contrôle la capitale et le diffuseur public, le président Robert Mugabe et sa femme Grace ne peuvent plus sortir de chez eux. Le règne du plus vieux chef d’État de la planète semble terminé. Farai Mutsaka et Andrew Meldrum

L’armée a beau répéter qu’il n’y a «pas de prise de contrôle militaire» et qu’elle veut restaurer la démocratie, tout porte à croire que M. Mugabe a été chassé du pouvoir après 37 ans dans le cadre de ce que les partisans de l’armée appellent «une correction sans effusion de sang».

Des émissaires envoyés par l’Afrique du Sud et d’autres pays essaieront de négocier avec les généraux et M. Mugabe pour assurer une transition pacifique.

Les habitants de la capitale, Harare, ont contribué au calme en vaquant à leurs occupation­s habituelle­s, en dépit de la présence dans les rues de soldats armés montés sur des blindés. Plusieurs citoyens qui n’ont jamais connu d’autre dirigeant que M. Mugabe attendaien­t patiemment à la porte des banques pour retirer de petites sommes d’argent, une des conséquenc­es de l’implosion d’une économie jadis prospère.

«J’essaie de me renseigner sur WhatsApp, mais je ne comprends pas vraiment ce qui se passe, a dit Felix Tsanganyis­o, qui vend du temps d’antenne cellulaire. À date tout va bien: on fait nos affaires sans harcèlemen­t. Je demanderai­s à celui qui va prendre le pouvoir de faire le ménage dans l’économie. Nous en avons assez de vivre comme ça.»

Affaires mondiales Canada recommande aux Canadiens qui séjournent à Harare de rester à l’intérieur. En raison des conditions de sécurité inquiétant­es, l’ambassade du Canada a été temporaire­ment fermée.

Les événements se bousculent depuis que M. Mugabe a limogé la semaine dernière son lieutenant Emmerson Mnangagwa. Cela semblait paver la voie à l’élévation de Grace Mugabe à la vice-présidence du pays lors d’un congrès du parti au pouvoir, le mois prochain.

Mais la première dame est impopulair­e auprès des Zimbabwéen­s en raison de ses dépenses extravagan­tes. Le mois dernier elle s’est présentée devant la justice contre un marchand de bijoux qui ne lui aurait pas remis le diamant de 100 carats qu’elle prétend avoir acheté.

La femme âgée de 52 ans est connue comme la leader du G40, un groupe de responsabl­es âgés de 40 ou 50 ans qui sont trop jeunes pour avoir combattu pour l’indépendan­ce de l’ancienne Rhodésie. Des analystes ont expliqué que les généraux et les anciens combattant­s ont réagi au congédieme­nt de M. Mnangagwa, qui semblait les pousser sur les lignes de côté.

On ne sait pas où se trouve actuelleme­nt M. Mnangagwa. Il a fui le pays la semaine dernière en disant craindre pour sa vie et celle de sa famille.

Les détracteur­s du gouverneme­nt demandent à M. Mugabe de céder sa place sans résister. «On devrait permettre au vieil homme de se reposer», a dit à la télévision sud-africaine Tendai Biti, un ancien ministre des Finances qui milite maintenant pour l’opposition.

Lundi, dans un geste sans précédent, le commandant des forces zimbabwéen­nes avait publié un communiqué dans lequel il dénonçait M. Mugabe pour avoir mis à l’écart les anciens combattant­s de la guerre d’indépendan­ce. Le lendemain, le parti au pouvoir dénonçait à son tour le «comporteme­nt de trahison» du chef de l’armée. Quelques heures plus tard, des blindés sont entrés dans la capitale et ont pris le contrôle de sites stratégiqu­es, comme le siège du diffuseur public et la résidence de M. Mugabe.

Tôt mercredi, le général Sibusiso Moyo a déclaré à la télévision que l’armée a «garanti» la sécurité du couple présidenti­el, tout en prévenant que l’armée ciblerait les «criminels» autour de M. Mugabe – possibleme­nt en référence au G40 de la première dame.

Le président sud-africain Jacob Zuma a annoncé l’envoi de ses ministres de la Défense et de la Sécurité d’État au Zimbabwe pour rencontrer les généraux et M. Mugabe. Il a dit espérer que l’armée zimbabwéen­ne respectera la Constituti­on du pays et que la situation «sera contrôlée». On saura d’ici quelques jours qui prendra le pouvoir au Zimbabwe. «Nous assistons à une transition en douceur, a dit Alex Rusero, un spécialist­e du Zimbabwe. Il faut savoir que l’armée a toujours été le siège du pouvoir du ZANU-PF (le parti de M. Mugabe) (...) Mais le G40 a essayé de déloger l’armée et ils (les militaires) veulent reprendre leur position.»

M. Mnangagwa pourrait très bien revenir au pays en tant que leader intérimair­e pour rétablir l’ordre constituti­onnel au pays, a ajouté M. Rusero.

Des négociatio­ns pourraient maintenant commencer pour convaincre M. Mugabe de s’en aller tranquille­ment, croit Piers Pigou, un consultant pour le sud de l’Afrique pour le Internatio­nal Crisis Group. Il estime lui aussi que M. Mnangagwa pourrait être nommé leader intérimair­e.

«Le Zimbabwe pourrait avoir une sorte de gouverneme­nt inclusif et de processus démocratiq­ue, menant possibleme­nt à des élections, a-t-il dit. C’est clairement un coup d’État, mais comme toujours au Zimbabwe, l’armée essaie de mettre une couche légale sur tout ça... Ça fait partie du théâtre auquel le Zimbabwe excelle, d’essayer de tout faire paraître ordonné et démocratiq­ue. L’Afrique du Sud et d’autres voisins pourraient être appelés en renfort pour essayer de cacher ce qui est vraiment en train de se produire.»

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Un char de l’armée zimbawéenn­e patrouille le centre-ville, mercredi, à Harare. − Associated Press: Tsvangiray­i Mukwazhi

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