«PERSONNE NE MÉRITE D’ÊTRE ABANDONNÉ»
Le Dr Patrick Marcotte est psychiatre au Centre hospitalier universitaire Dr Georges-L.-Dumont, à Moncton, depuis 15 ans. Dès ses études en médecine, la santé mentale l’a intéressé au point qu’il en a fait sa spécialité. «Les maladies dans ce domaine sabotent des équilibres de vie. Elles détruisent des gens et des relations. Il y a dans ces maladies une telle lourdeur que c’est gratifiant de les soigner», considère-t-il. Mais les rétablissements et rémissions sont parfois contrecarrés par l’opinion publique. Explications.
Acadie Nouvelle: Comment la population perçoit-elle les troubles en santé mentale et les malades qui en souffrent, de nos jours?
Dr Patrick Marcotte: Je constate encore beaucoup d’incompréhension et de rejets. Pour ce qui est du sexisme, de l’homophobie ou de la xénophobie, il y a eu de grandes avancées, une meilleure acceptation. La santé mentale reste le dernier préjugé social. Elle reste une expérience honteuse d’un point de vue extérieur, et pour celle ou celui qui la traverse. Certains considèrent toujours que la dépression, c’est pour les faibles. D’autres voient les malades comme des personnes paresseuses ou dangereuses. A. N.: Comment expliquez-vous ça?
Dr P. M.: Les conséquences d’une maladie mentale sont sévères. Elles atteignent le fonctionnement même d’une personne. Dans le cas d’une dépression majeure par exemple, certains individus sont incapables de travailler. Ils doivent composer avec des troubles cognitifs qu’ils n’avaient pas auparavant. Se dire que ça peut nous arriver est terriblement angoissant. Il est alors rassurant de stigmatiser les malades, de se dire qu’ils ne sont pas comme nous. Ça met celles et ceux qui pensent ainsi à l’abri. Ça les renforce dans leur idée d’invincibilité. Les choses évoluent néanmoins. A. N.: C’est-à-dire…
Dr P. M.: En marge de l’incompréhension et des rejets, j’observe de plus en plus d’ouverture d’esprit. Certaines personnes se montrent très réceptives aux troubles de la santé mentale et refusent la stigmatisation ambiante. De plus en plus de malades et d’anciens malades sortent de l’ombre et s’expriment sur ce qu’ils vivent ou sur ce qu’ils ont vécu. Cela donne un autre visage de la maladie. On le voit, entre autres, avec la journée Bell Cause pour la cause (la dernière a eu lieu le 31 janvier, NDLR). Le discours scientifique se fait entendre. Nous ne sommes plus, heureusement, dans l’idée qu’une dépression a pour cause une possession démoniaque, mais un problème de neurotransmetteurs. La recherche avance. Les traitements, dans certains cas, sont très efficaces.
A. N.: La jeune génération est-elle plus ouverte d’esprit que leurs aînés sur les questions de santé mentale?
Dr P. M.: C’est sûr que les 50 ans et plus sont les plus réfractaires au sujet. Les hommes en particulier. Dans cette catégorie, le stéréotype qu’un homme ne faillit jamais et qu’il ne pleure jamais est tenace. Un homme âgé frappé par une dépression se sent touché dans sa virilité. C’est toute son existence qui perd son sens. Dans le même temps, la jeune génération n’est pas la plus résiliente, au contraire. Elle se caractérise par son immaturité. Avec la perte de valeurs comme le sens du devoir et le courage, nous sommes passés d’une société responsable à une société de plaisir uniquement.
A. N.: Que faut-il faire pour changer les mentalités?
Dr P. M.: Dans ce cas-ci, les mécanismes de pensée sont tellement ancrés dans l’esprit des gens qu’il leur faut être en contact proche avec la maladie pour défaire les préjugés. Soit en étant malade eux-mêmes, soit en étant spectateur de ce qu’il en est réellement, via un membre de leur famille ou de leur entourage lui-même affecté. L’expérience personnelle est plus pertinente qu’une campagne d’éducation.
La médiatisation reste importante. Il faut en parler. Cela demande également un engagement politique. Il n’est pas normal que des traitements dont l’efficacité a été prouvée ne soient pas remboursés par l’assurance maladie. Il est aberrant qu’une personne qui souhaite rencontrer un psychiatre, à Moncton, doive patienter 28 mois avant d’obtenir un rendez-vous. Ce sont les délais actuels. Plus de deux ans d’attente, ça laisse le temps à la maladie de s’installer et de se développer. Certaines pathologies doivent être prises en charge le plus rapidement possible pour être enrayées. Mais la psychiatrie a toujours été le parent pauvre de la médecine. Parce qu’associée à la folie, elle dérange. N’oublions pas qu’au Canada, selon les statistiques, les troubles de santé mentale touchent une personne sur cinq. Ça peut être n’importe qui.
Le Dr Patrick Marcotte est le fondateur de l’opération annuelle Un Phare dans la nuit qui vise à démystifier la santé mentale, à travers plusieurs activités dont un grand spectacle musical. Le prochain rendez-vous se déroulera du 10 au 12 mai, à la salle Jeanne-de-Valois du CHU de Moncton.