«Un animal sans stress donne une meilleure viande»
À la ferme Springbrook, chaque animal est traité avec respect
Jean-Pierre Gagnon est un personnage bien connu au Marché de Dieppe, reconnaissable entre mille avec son chapeau de cowboy fixé sur la tête. Ses clients reviennent pour sa viande, mais aussi pour l’assurance que ses animaux ont été bien traités.
Depuis qu’il a repris la ferme Springbrook en 2002, Jean-Pierre Gagnon s’est promis d’offrir des conditions d’élevage respectueuses à ses bêtes.
«On voit ça comme un échange, si on demande la vie d’un animal pour nous soutenir, il faut lui donner la meilleure vie possible, explique l’éleveur. Il leur faut un endroit sec pour se coucher, de quoi s’amuser, la meilleure bouffe possible et en masse d’espace et de soleil. Si l’animal a vécu le paradis jusqu’à ce que la cartouche fesse, c’est l’important.»
Nous voilà partis pour une visite de la ferme familiale, non loin de Rexton. Chaque année, on y élève environ 175 porcs, 50 vaches, 1000 poulets et quelques dizaines d’agneaux.
Au fond de l’étable, une dizaine de porcelets courent d’un bord à l’autre de leur enclos. «Quand ils ont la queue levée comme ça, je sais qu’ils sont bien. Dans certains élevages ils pourraient être trente dans le même espace», commente le propriétaire de la ferme.
«Un animal élevé dans une grange s’ennuie. On donne des naveaux aux cochons pour qu’ils s’amusent pendant le jour. On donne du foin aux poulets pour qu’ils puissent gratter dedans.»
Au printemps, ils iront se promener à leur guise dans les bois et les prairies aux alentours. L’éleveur s’assure que l’enclos à l’air libre mesure au moins 32 pieds carrés par cochon, deux fois plus que la surface exigée pour obtenir une certification biologique.
Dans les élevages industriels, le bétail est bien souvent entassé dans des espaces uniques très restreints qui l’empêche de bouger. Les animaux ne voient jamais la lumière du jour, de la naissance jusqu’à l’abattage.
«Ils n’offrent pas beaucoup de soins pour chaque individu. L’animal n’est jamais vraiment en vie. Au printemps, un poulet devrait être dehors en train de picocher, en train de s’amuser», déplore Jean-Pierre Gagnon.
L’équipe de la ferme Springbrook se refuse à couper la queue et à retirer les dents des porcelets, des mutilations auxquelles ont recours de nombreux éleveurs pour éviter le cannibalisme.
Jean-Pierre Gagnon rappelle que le comportement d’un porc qui mange la queue d’un autre est souvent la conséquence d’un stress ou de la privation de certains comportements naturels.
Pas question non plus de donner le moindre médicament à ses bêtes.
«Si on donne des antibiotiques, c’est parce qu’on met les animaux dans un environnement de béton, sans lumière. Lorsque l’animal est dans son milieu naturel, on n’a pas besoin de lui donner de médicaments.»
Et ces choix se ressentent jusque dans l’assiette: un cochon heureux est un cochon goûteux, assure le fermier.
«Un animal sans stress donne une meilleure viande à la fin. La qualité des grains c’est aussi important pour avoir un produit de qualité, de meilleures saveurs. On a un accord avec la Fleur du Pommier (un verger de Cocagne), on récupère leurs restants de pommes pour nourrir les cochons, ça donne un goût sucré au porc.»
Les bêtes sont tuées à l’abattoir de SainteMarie de Kent et la découpe des carcasses se fait directement à la ferme, dans des installations inspectées par le gouvernement provincial.
Quant au bacon, il est simplement fumé au bois d’érable selon la méthode traditionnelle.
Le sort du bacon industriel vendu à l’épicerie est réglé bien plus rapidement par injection de fumage liquide et de saumure, un mélange d’eau, de nitrite de sodium et de phosphates qui augmente le poids de la viande à moindre coût.
Jean-Pierre Gagnon en est conscient, la seule façon de pouvoir survivre face à la compétition de l’élevage intensif est d’offrir un produit niche et d’obtenir la confiance des consommateurs.
«Si les gens étaient prêts à manger moins de protéine pour s’offrir des protéines plus chères, mais de qualité, ça aiderait beaucoup nos régions rurales», croit-il.