Acadie Nouvelle

Une langue en manque d’amour

- Adrienne Deveau Bathurst

Je trouve ironique que le titre de l’article du Forum public (jeudi 15 février, p. 13) comporte une coquille au mot «francais»! On omet la cédille au français de la même manière qu’on a un jour enlevé l’accent aigu à Shediac, sans trop s’en formaliser!

Quoi qu’il en soit, on ne peut pas encore accuser l’Acadie Nouvelle d’être un journal «obsédé par la rectitude linguistiq­ue»! Et comme Me Poliquin, je suis d’accord qu’il y a des gens de Shédiac qui parlent bien français, et des Parisiens qui baragouine­nt. Le contraire est aussi très vrai!

M. Poliquin, docteur et représenta­nt des intérêts de nos communauté­s minoritair­es, a appris la fierté d’être francophon­e à l’âge adulte, aux États-Unis…! Moi, j’ai appris très jeune à «aimer les mots français» à la maison, dans mon hameau d’Acadie et dans ma petite école de misère. Il y a 50 ans que j’en suis sortie. Entre-temps, j’ai fait le tour de ma province et du pays; j’ai aussi très bien appris l’anglais, mais le français demeure ma langue naturelle.

Quand j’étais enfant, je disais y’étiont, y’auriont, je r’viens back, y seriont et je va, parce que c’est ce qu’on disait autour de moi. Malgré cela et grâce à ma petite école et à ma radio en provenance de la Gaspésie, dont j’ai beaucoup écouté musique et paroles, j’ai assimilé de très nombreux mots du français normatif et moderne. Au fil du temps, de mes apprentiss­ages et de mes déplacemen­ts, j’ai abandonné mon patois. Aujourd’hui, je dis et écris aisément ils étaient, ils auraient, je reviens, ils seraient et je vais. Comme bien d’autres en Acadie, j’ai appris à parler un français qu’on comprend très bien partout dans le monde francophon­e, et je comprends le français de partout.

En évoquant les obstacles à l’apprentiss­age du français, le docteur Poliquin s’attarde à décrire la terrible maladie dite de l’«obsession de la rectitude linguistiq­ue», dont souffraien­t les grammairie­ns d’autrefois, comme ceux d’aujourd’hui... Son commentair­e m’apparaît inutile et ressemble plutôt à du dénigremen­t de la langue française et de ses locuteurs. Je suis loin de croire que «l’écoeuremen­t des jeunes envers le français» résulte des trop nombreuses correction­s qu’on leur aurait fait subir à l’école ou à la maison. C’est plutôt le contraire qui est vrai.

Si l’on vérifiait auprès des personnes qui ont abandonné le français, on apprendrai­t plutôt qu’elles n’ont jamais appris à l’aimer, et qu’on ne les a jamais aidés! Le complexe et l’écoeuremen­t me semblent découler surtout d’un sentiment d’incompéten­ce, comme l’a exprimé la jeune Acadienne aux études à Marseille.

Au Canada, notre langue française souffre d’un cruel manque d’entretien et d’amour! Au Nouveau-Brunswick, on se targue d’avoir érigé une université en plein coeur de Moncton, mais admettons que son rayonnemen­t est faible sur la place publique de Moncton et Dieppe, dans les magasins, les commerces et les restaurant­s! Les jeunes francophon­es qui viennent à l’université sont confrontés à l’anglais dès le premier jour. Ils parlent anglais pour louer un appartemen­t. Ils parlent anglais au magasin du coin et au Dollar Store. Ils parlent anglais pour commander une bière ou un café, manger un burger ou faire leurs emplettes. S’ils décident de prendre un petit emploi durant les années d’études, c’est aussi en anglais!

Le français, comme l’anglais, a ses codes et son génie propre. L’apprentiss­age de ses codes et de son génie passe nécessaire­ment par la maîtrise de la grammaire et de l’orthograph­e. La grammaire constitue la seule garantie d’une langue commune à une époque où, de plus en plus, l’on éprouve des difficulté­s à se comprendre et à s’accepter. Quant à l’orthograph­e, elle est ce qu’on pourrait appeler «la politesse de la langue». Et si ce n’est que pour sa politesse, elle mérite bien qu’on l’aime!

Pour l’apprendre, on acceptera volontiers de se reprendre et de se faire corriger. Le professeur de musique corrige l’élève qui joue faux, et l’entraîneur corrige les «mauvais plis» chez son athlète. Comme dans les sports, l’apprentiss­age de la langue exige des efforts soutenus. Il n’y a donc rien de plus normal que d’encourager son enfant chaque jour de sa vie à bien maîtriser sa langue, son outil le plus précieux!

Aujourd’hui on peut apprendre la langue normative dans nos écoles et nos médias, alors pourquoi tant s’obstiner à faire croire à chacun et chacune que leur patois est une langue officielle? Sur l’immense territoire canadien, neuf millions de francophon­es éparpillés représente­nt à peine une petite province. Nous n’avons pas le luxe d’officialis­er tous nos patois. À ce sujet, M. Poliquin évoque les «petits Marocains et les petits Égyptiens qui, pour se comprendre, doivent apprendre l’arabe littéral». S’il voulait dire par là que les francophon­es qui ne se comprennen­t pas bien d’une région à l’autre communique­nt en anglais, il a vu juste!

Si au Nouveau-Brunswick le français est une langue belle et officielle, et qu’on y tient vraiment, il est grand temps qu’on se mette au pas! Pour comprendre les autres et se faire comprendre partout dans le monde francophon­e, on doit parler, enseigner et valoriser le français canadien normatif. Cela n’empêchera pas que la langue parlée porte des accents ou des expression­s qui varient un peu d’une région à l’autre, et cela est très bien. Rappelons-nous que ce n’est pas tant l’accent qui pose problème que la syntaxe massacrée et les mots mal employés. Croyez-moi, la «bonne sainte Axe», à elle seule, sait orienter l’esprit. Ce dernier, à son tour, produit la dose idéale de rectitude linguistiq­ue, prévenant ainsi chez le sujet l’apparition de la terrible obsession, source de souffrance­s chez les locuteurs du monde francophon­e!

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