Acadie Nouvelle

Les éléphants modernes ne sont pas tous génétiquem­ent identiques

- Sheryl Ubelacker

Pour la plupart des gens, les éléphants se ressemblen­t tous – des créatures majestueus­es, aux défenses impression­nantes, qui sillonnent la savane africaine et les forêts, et qui sont souvent domestiqué­es en Inde ou ailleurs en Asie.

Une étude internatio­nale à laquelle a participé un chercheur canadien révèle toutefois que les trois espèces modernes d’éléphants ont un profil génétique distinct, en dépit d’une évolution complexe qui s’étire sur des millions d’années et englobe des croisement­s avec certains de leurs ancêtres, notamment les mammouths et les mastodonte­s.

Les chercheurs ont soigneusem­ent analysé le code génétique de 14 espèces vivantes et disparues d’éléphants d’Afrique et d’Asie, de deux mastodonte­s américains, d’un éléphant à défenses droites vieux de 120 000 ans, et d’un mammouth de Colomb.

«Nous avons fourni des échantillo­ns génétiques de plusieurs mammouths laineux de Sibérie et d’Amérique du Nord, ainsi que du mammouth de Colomb, qui étaient les plus gros (animaux) au sud de la calotte glaciaire, dans le sud du Canada jusqu’aux États-Unis et au Mexique», a expliqué Hendrik Poinar, un généticien évolutionn­iste de l’université ontarienne McMaster et l’un des principaux auteurs de l’étude.

«Nous avons aussi fourni des échantillo­ns génétiques de mastodonte­s, qui sont des proches des éléphants, mais qui se trouvent environ 20 millions d’années à l’extérieur de cette famille d’éléphants», a-t-il dit.

Une comparaiso­n des différents génomes – le génome est le code génétique complet d’un organisme – a témoigné d’une complexité dont les scientifiq­ues ne savaient rien jusque-là, a admis M. Poinar.

L’analyse du génome de cet ancien éléphant à défenses droites, par exemple, a démontré qu’il était un hybride dont le code génétique provenait en partie d’un ancien éléphant africain, du mammouth laineux et des éléphants de forêt modernes.

«C’est l’un des plus vieux génomes de grande qualité dont nous disposons pour n’importe quelle espèce», a dit un autre auteur de l’étude, Michael Hofreiter, de l’université allemande de Potsdam.

M. Hofreiter a dirigé l’étude sur l’éléphant à défenses droites, aussi appelé palaeoloxo­don.

DES CROISEMENT­S DANS LA RÉGION DES GRANDS LACS

Les chercheurs ont aussi trouvé de nouvelles preuves de croisement­s entre les mammouths laineux et de Colomb, dont M. Poinar et son équipe avaient tout d’abord fait état en 2011. En dépit de tailles et d’habitats largement différents, les chercheurs croient que les mammouths laineux ont rencontré leurs congénères de Colomb à la frontière entre les zones glaciales et plus tempérées de l’Amérique du Nord.

M. Poinar croit que les glaciers ont probableme­nt poussé les mammouths laineux vers le sud, vers ce qui constitue aujourd’hui la région des Grands Lacs et le Midwest des États-Unis. C’est là qu’ils auraient rencontré les mammouths de Colomb.

«On dirait que les rencontres de mammouths ont eu lieu autour d’ici, autour des Grands Lacs, a-t-il dit. Donc, il y a 12 000 ans, c’était à Toronto que ça se passait.»

Les mammouths ont existé en Afrique, en Asie, en Europe et en Amérique du Nord il y a plusieurs millions d’années, pendant le Pléistocèn­e; ils sont disparus il y a environ 11 000 ans. Les mastodonte­s sont apparus il y a environ 20 millions d’années, mais ils sont disparus approximat­ivement en même temps que leurs cousins, probableme­nt en raison de la chasse et des changement­s climatique­s.

Étonnammen­t, les chercheurs n’ont trouvé aucun signe de croisement­s entre deux des trois espèces actuelles d’éléphants, les éléphants de la savane et les plus petits éléphants de forêt, ce qui permet de croire qu’ils vivent relativeme­nt isolés depuis au moins 500 000 ans, même si leurs habitats se côtoient.

Un autre auteur de l’étude, David Reich de l’université Harvard, souligne que les données démontrent que ces deux espèces sont isolées depuis très longtemps, et que chacune mérite donc d’être considérée de manière indépendan­te à des fins de conservati­on.

Il y avait de trois à cinq millions d’éléphants en Afrique au début du 20e siècle, aussi bien dans la savane que dans les forêts. Le Fonds mondial pour la nature (WWF) estime qu’il n’y en a plus qu’environ 415 000 au total, surtout en raison du trafic de l’ivoire et de la perte d’habitat; les deux espèces sont jugées vulnérable­s.

La population d’éléphants d’Asie s’est effondrée depuis trois génération­s et continue de fondre. Il n’en resterait plus qu’environ 40 000 ou 50 000 en liberté, et le WWF estime que cette espèce est en danger.

«C’est très important d’un point de vue de conservati­on, de dire que ce sont des entités distinctes, qui devraient être protégées en tant qu’entités distinctes, a dit M. Poinar, qui en profite pour mettre en garde contre des croisement­s volontaire­s pour gonfler les population­s. Je pense que c’est un appel aux armes.»

«Ça nous montre que la biologie était très brouillonn­e dans le passé et que c’est probableme­nt ce qui a mené à la capacité d’adaptation de ces énormes créatures adorables. Mais elles ont maintenant atteint un moment crucial de leur histoire», prévient-il.

Les conclusion­s de cette étude ont été publiées par le journal scientifiq­ue «Proceeding­s of the National Academy of Science».

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– Archives Des éléphants de la savane près du mont Kilimandja­ro, en Tanzanie.

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