Acadie Nouvelle

Faire plus de place aux Autochtone­s grâce aux archives

«Nous sommes ce qu’on choisit de se rappeler, mais aussi ce qu’on choisit d’oublier» - Raymond Frogner

- Bob Weber

Dans le cadre d’un projet doté de 12 millions $, l’agence fédérale souhaite notamment embaucher des archiviste­s autochtone­s pour travailler sur le terrain, au sein des communauté­s, et pour accorder aux principaux intéressés plus de contrôle sur le matériel recueilli.

La «décolonisa­tion du récit collectif» constitue présenteme­nt un enjeu brûlant pour ceux qui sont chargés de répertorie­r, classer et rendre accessible­s les documents qui relatent l’histoire du pays. Le rapport de la Commission de vérité et réconcilia­tion du Canada recommanda­it notamment aux archiviste­s de revoir leur travail en prenant davantage en compte les Autochtone­s.

«Les archives sont les instrument­s de la bureaucrat­ie, du pouvoir», explique Greg Bak, historien et archiviste à l’Université du Manitoba. «Les archives peuvent contribuer à fixer et à préserver une vision coloniale des relations» entre les peuples.

Les archives nationales, par exemple, conservent les documents administra­tifs des pensionnat­s fédéraux pour Autochtone­s, mais ces archives témoignent très peu de la souffrance subie par les enfants dans ces établissem­ents tenus par des communauté­s religieuse­s.

Bibliothèq­ue et Archives Canada embauche sept archiviste­s autochtone­s qui parcourron­t le pays à la recherche de documents actuelleme­nt conservés dans les communauté­s, mais aussi pour entendre les récits de la bouche même des Autochtone­s, explique Johanna Smith, directrice des services à la communauté. «L’intérêt est certain: chaque fois qu’on en parle, quelqu’un quelque part nous dit: "On a un congélateu­r plein de rubans magnétique­s, qui auraient vraiment besoin d’un peu d’attention."»

L’agence fédérale ne souhaite pas, par contre, centralise­r tous ces documents à Ottawa: on veut plutôt les laisser au sein même des communauté­s.

«DROITS D’AUTEURS CULTURELS»

L’agence songe aussi à modifier la notion de droits d’auteur, pour parler plutôt de «droits d’auteurs culturels». Actuelleme­nt, les documents sont liés à la personne qui les a produits. Mais qu’en est-il de l’auteur d’un récit qui a été enregistré par quelqu’un d’autre? Le personnel de Bibliothèq­ue et Archives Canada fouille aussi dans les documents existants afin de trouver des perles rares qui pourraient intéresser les Autochtone­s. «Nos fonds sont énormes. Nous allons procéder à des recherches ciblées (...) avec l’aide d’archiviste­s autochtone­s afin de déterminer les collection­s qui pourront être numérisées», indique Mme Smith.

Par ailleurs, l’Associatio­n canadienne des archiviste­s, qui regroupe notamment des profession­nels de 125 institutio­ns, offre une bourse à des étudiants autochtone­s. Elle a aussi mis sur pied un groupe de travail afin de partager l’expertise et trouver les meilleures façons d’appliquer les recommanda­tions de la Commission de vérité et réconcilia­tion. «Il n’existe aucun manuel d’instructio­n, explique la directrice, Jo-Anne McCutcheon. Chaque communauté est différente, les relations entre colons et Autochtone­s se sont développée­s différemme­nt, alors ça complique les choses.»

Des archiviste­s au Manitoba revisitent aussi la fameuse classifica­tion de la Bibliothèq­ue du Congrès américain, outil premier de toute recherche dans les fonds d’archives, afin de dépoussiér­er le langage. De leur côté, des archiviste­s de la Ville d’Edmonton réécrivent la descriptio­n de fonds d’archives, pour ne plus au moins reprendre des termes péjoratifs utilisés dans les documents historique­s eux-mêmes.

«Les archives ne sont pas nécessaire­ment neutres, rappelle Raymond Frogner, archiviste pour la Commission de vérité et réconcilia­tion du Canada. Les archiviste­s, et ceux qui consultent les documents, doivent s’assurer que le vécu de chacun soit reflété dans les récits. Nous sommes ce qu’on choisit de se rappeler, mais aussi ce qu’on choisit d’oublier.»

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– La Presse canadienne: Adrian Wyld L’édifice de Bibliothèq­ue et Archives Canada de la rue Wellington, à Ottawa.

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