Contraste hallucinant
Un pays en liesse et un pays en détresse. C’est l’image contrastée que nous offraient les médias, lundi, alors que les Français descendaient dans la rue pour fêter leurs champions de foot et que les Américains grimpaient aux rideaux en voyant leur président faire un fou de lui au sommet d’Helsinki.
Je tentais de suivre ces deux événements simultanément aux chaînes françaises et américaines d’info en continu. Vers 11h ici, la fébrilité était à son comble dans les studios télé; à la fois en France où venait de se poser l’avion ramenant au bercail l’équipe française de foot, et en Amérique où on attendait le début imminent de la conférence de presse de Trump et Poutine.
En France, la folie était contagieuse. Les journalistes appelés à commenter le déroulement des événements avaient adopté un ton léger, on y allait de vannes faciles, on scandait les cocoricos avec les supporters, on affichait sa «préférence nationale», on était fier d’être Français!
Du côté américain, les journalistes affichaient des mines d’enterrement, on tenait des propos angoissés, on disséquait la psyché trumpienne, on exprimait une «urgence nationale», et on n’était pas fier d’être Américains!
Merci au décalage des horaires, car j’ai pu voir en direct la conférence de presse des deux vilains présidents avant que ne s’engage le défilé des champions de foot sur les Champs-Élysées, où mon coeur tricolore s’était faufilé en catimini, alors que ma tête américaine rageait à Helsinki devant l’insignifiance abyssale des propos du bonhomme Trump.
Je n’avais pas fini d’écrire cette phrase qu’Anderson Cooper, reporter vedette de CNN déclarait qu’il n’avait jamais vu une plus honteuse performance d’un président américain sur la scène internationale! Qualificatif que reprendra quelques heures plus tard le sénateur John McCain, en y allant d’une charge à fond de train contre l’olibrius qui leur sert de président.
En effet, Trump, qu’on a déjà accusé d’être la marionnette de Poutine, est descendu encore d’un cran: il s’est transformé en sous-tapis sur lequel Poutine a poliment évité de trop s’essuyer les pieds par politesse diplomatique. De toute manière, ce n’était pas nécessaire: le président américain rampait déjà à ses pieds, affichant sa mine obséquieuse la plus vénale.
Faut le faire: quelques jours à peine après que le département américain de la Justice eut annoncé la mise en accusation par un grand jury fédéral de 12 agents russes soupçonnés d’être intervenus illégalement dans le déroulement de l’élection présidentielle américaine de 2016, via divers actes criminels de piratage informatique hautement sophistiqué, le bonhomme Trump n’a rien trouvé de mieux à dire à ce sujet devant Poutine que d’accuser ses propres agents américains, et les démocrates, pour ce fiasco!
C’est le «Sommet de la capitulation» a lancé John King, autre journaliste vedette de CNN. Propos répercutés par Chuck Schumer, leader de la minorité démocrate au Sénat, qui a aussi dénoncé les propos de Trump, se demandant si «le président Poutine possède des informations compromettantes sur le président Trump» et affirmant que le président a préféré «la parole du KGB à celle de la CIA».
Entre-temps, Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, déclarait que le sommet avait été «Magnifique! Plus que super!».
On ne parle plus d’incompétence présidentielle ici, on est rendu au comportement qui frise la trahison, comme l’a suggéré l’ancien directeur de la CIA John Brennan. Accusation que n’ont pas osé endosser les ténors du Parti républicain, la plupart se comportant déjà comme des pleutres effarouchés, de toute façon, depuis l’élection de Trump.
Au même moment, à Paris, au moins un million de personnes massées sur les Champs-Élysées piaffaient d’exultation dans l’attente du bus transportant les champions du monde de foot! Un pays en délire, fou de ses champions, ivre de sa propre euphorie, un pays en transe abandonné au bonheur d’une victoire historique! Quel contraste!
Mais le contraste ne se résume pas à ces deux moments «historiques». Le contraste est déjà en place depuis l’élection de Trump en janvier 2017 et celle de Macron quelques mois plus tard.
Autant l’élection de Trump, arrivé inopinément en politique, a retenti comme le glas de la démocratie américaine, autant l’élection de Macron a sonné l’hallali des forces vives en France. Son arrivée fulgurante au pouvoir a sorti la France d’une torpeur politique stérile en donnant un nouveau souffle à la dynamique politique française. Certes, cette présidence n’est pas sans tache, et la victoire des Bleus au Mondial du foot, si elle vient à point nommé raviver cette flamme vacillante, ne saurait servir de solution magique aux défis auxquels fait face la France. Mais ça donne du coeur au ventre.
Du côté de Trump, on connaît la chanson: c’est l’éléphant dans le magasin de porcelaine. Que dis-je: le troupeau d’éléphants! Il s’en est pris à des minorités, il a tataouiné sur la question du racisme, il a désavoué ses propres ministres et hauts fonctionnaires, il a vasectomisé l’autorité du FBI et de la CIA, il a fait preuve de xénophobie, il a attaqué les alliés des États-Unis, il a vanté l’autoritarisme des dictateurs, il a menacé l’OTAN, il a renié des traités internationaux de diverses natures, et surtout, il s’est écrasé devant Vladimir Poutine qui le manipule comme une poupée de chiffon. Il est l’éteignoir du rêve américain.
Et bizarrement, en allant se vautrer devant Poutine à la face du monde, la légitimité présidentielle pour laquelle bataille Trump en Amérique donne plutôt une légitimité à celle de l’autocrate Poutine en Russie!
En fin d’après-midi, en fin de soirée à Paris, la fête s’est calmée. Quelques projectiles et quelques échauffourées avec les forces de l’ordre n’ont pas brisé ce moment de bonheur bleu.
En Amérique, les Américains vivaient, eux, un grand moment de honte nationale, et sont allés se coucher en se demandant si leur président ne venait tout simplement pas de céder leur superpuissance à «l’ennemi» Poutine!
Deux grands pays, deux présidences inattendues, et un contraste politique hallucinant. Et c’est ainsi que l’histoire s’est gravée dans le temps, ce lundi 16 juillet 2018.
Han, Madame? ■