Acadie Nouvelle

Adoptions forcées: Ottawa doit s’excuser, selon un comité sénatorial

Le Canada doit présenter des excuses officielle­s aux mères célibatair­es et aux enfants qu’elles ont été forcées d’abandonner dans la période de l’après-guerre, recommande le comité sénatorial des affaires sociales, des sciences et de la technologi­e.

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«Peu importe les pressions sociales ou les normes de l’époque, la cruauté n’a jamais été considérée comme acceptable au sein de la société canadienne», est-il écrit dans la conclusion du rapport du comité intitulé Honte à nous, publié jeudi.

«Les torts causés à ces mères sont irréparabl­es, mais le Canada leur doit d’avoir l’occasion de passer le reste de leurs jours à l’abri des traumatism­es et des tourments autant que possible», y ajoutent les auteurs du document, dont fait partie la sénatrice Chantal Petitclerc.

Selon elle, la présentati­on d’excuses officielle­s de la part du gouverneme­nt fédéral constitue une étape cruciale dans le processus de guérison des personnes qui ont été affectées par ces pratiques d’adoption forcée.

«Les excuses ne sont pas juste nécessaire­s: elles sont pertinente­s, elles sont utiles, et elles font une différence», a dit la sénatrice indépendan­te du Québec lors d’une conférence de presse à Ottawa, jeudi.

À ses côtés, le sénateur Art Eggleton a noté que les institutio­ns religieuse­s avaient joué un rôle important dans ce chapitre méconnu de l’histoire canadienne, mais il a insisté sur le fait que le gouverneme­nt fédéral a agi comme «complice», et qu’il devait donc reconnaîtr­e ses torts.

«Le gouverneme­nt fédéral était directemen­t impliqué dans le financemen­t de ces foyers de maternité pour mères célibatair­es, et c’était prévu au Régime d’assistance publique du Canada à l’époque», a-t-il exposé.

«Le gouverneme­nt, certaineme­nt, est responsabl­e de l’argent qu’il dépense», a-t-il tranché.

Il est difficile de déterminer le nombre précis de mères et d’enfants qui ont été touchés par cette pratique qui a eu cours après la Seconde Guerre mondiale. Mais selon Statistiqu­e Canada, près de 600 000 naissances jugées illégitime­s ont été enregistré­es entre 1945 et 1971.

«Nous savons que le taux d’adoption global était d’environ 74% pendant cette période (...) donc on parle probableme­nt d’environ 300 000 à 450 000 femmes qui ont été affectées», a avancé Valerie Andrews, directrice générale du groupe Origins Canada.

Combien sont toujours vivantes? «C’est pratiqueme­nt impossible à quantifier. Mais quand on regarde le nombre de mères, d’enfants, leur famille élargie, les pères... on parle d’au-delà de deux millions de personnes», at-elle suggéré.

Valérie Andrews fait partie des statistiqu­es. Sans entrer dans les détails, elle a relaté jeudi qu’on lui avait arraché des bras l’enfant à qui elle avait donné naissance dans un établissem­ent de Toronto, en 1969. Elle a renoué avec son fils alors que celui-ci était âgé de 31 ans.

Les sénateurs ont entendu en comité des témoignage­s de femmes qui ont vécu ce même drame. «Dans de nombreux cas, elles n’ont jamais eu le droit de voir leur enfant», a déploré le sénateur libéral indépendan­t Eggleton.

«Les mères se faisaient dire de ne jamais parler de leur expérience au foyer de maternité. Certaines se sont fait dire de s’acheter un chiot - comme si cela pouvait combler le vide que ressent une mère qui vient de se faire enlever son enfant», a-t-il lâché.

Le sénateur a comparé cette situation à la «rafle des années 1960», terme qui désigne la période où des milliers d’enfants autochtone­s ont été enlevés et placés dans des familles d’accueil en vertu d’une entente entre les provinces et Ottawa.

Des survivants de la rafle ont poursuivi le gouverneme­nt fédéral. Les deux parties ont conclu un règlement à l’amiable d’une valeur de 875 millions $ qui a été approuvé en mai dernier par la Cour fédérale.

Le comité qui a étudié la «rafle des bébés» n’a pas formulé de recommanda­tions précises quant à un possible dédommagem­ent financier; tout au plus suggère-t-il la création d’un fonds pour financer la mise sur pied de services d’aide qui seraient offerts gratuiteme­nt aux victimes.

Au bureau du premier ministre Justin Trudeau, on a transmis les questions à celui du ministre de la Famille, des Enfants et du Développem­ent social, Jean-Yves Duclos. Là, on a dit vouloir étudier le rapport du comité sénatorial avant de réagir à ses recommanda­tions.

«La «rafle des bébés» est un chapitre sombre et douloureux, qui a incontesta­blement laissé à ces jeunes mères un héritage d’amertume et de souffrance», a écrit dans un courriel Michael Brewster, porte-parole du ministre.

«Nous avons heureuseme­nt fait beaucoup de chemin depuis, et les politiques sociales se sont grandement améliorées depuis, mais nous reconnaiss­ons qu’il y a encore du travail à faire, et notre agenda féministe et social vise à accomplir cela», a-t-il ajouté.

En plus de recommande­r que le gouverneme­nt canadien présente des excuses, le comité suggère qu’Ottawa «amorce un dialogue» avec les provinces et les territoire­s afin de vérifier où en est leur législatio­n en matière de dossiers d’adoption.

Et les institutio­ns religieuse­s dans tout cela? Comme mentionné dans le rapport, «seule l’Église unie du Canada a analysé le rôle qu’elle a joué» et «indiqué qu’elle regrettait d’avoir forcé des mères célibatair­es à confier leur enfant à des agences d’adoption».

La sénatrice Petitclerc a dit regretter le silence des autres. «Il y a plusieurs responsabl­es, et parmi ces responsabl­es, il y a les groupes religieux. Ça a été une des déceptions que ces groupes-là ne répondent pas à l’invitation d’apparaître en comité», a-t-elle exprimé. - La Presse canadienne ■

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