QUAND LA DISCRIMINATION EST TOLÉRÉE
Si le propriétaire d’un édifice à logements en Acadie diffusait une publicité dans laquelle il précisait que ceux-ci sont offerts seulement aux personnes de race blanche, l’affaire ferait immédiatement scandale. Imaginez maintenant si c’était la norme et que la plupart des petites annonces précisaient ainsi la préférence raciale du propriétaire.
Cela vaut aussi pour les autres minorités visibles ou non, sexuelles, religieuses ou même linguistiques.
Vous avez des doutes? Nous vous invitons à faire un petit voyage dans le temps, en 2010 pour être plus précis, quand le casino de Moncton a ouvert ses portes. Les joueurs francophones s’étaient vus interdire de parler leur langue afin de ne pas indisposer les anglophones unilingues ou le croupier.
L’affaire avait provoqué tout un brouhaha. Casino Nouveau-Brunswick avait d’abord tenté de défendre l’indéfendable, avant de finalement faire marche arrière. Quand on en fait une priorité, il est possible de s’assurer que les droits de tous soient respectés.
Dans le dossier du logement, il semble que pas grand monde ne se donne la peine de respecter les droits des parents et de leurs enfants.
L’Acadie Nouvelle a raconté cette semaine l’histoire de Jessica Chamberlain, de son conjoint et de leur bébé Malik, qui sont incapables de trouver un logement digne de ce nom et abordable à Dieppe. Partout, on leur fait comprendre que les enfants ne sont pas les bienvenus. Et ça, c’est quand le propriétaire daigne les rappeler…
Il ne s’agit pas d’un incendie isolé. Et ce n’est pas limité à la ville de Dieppe.
Un coup d’oeil dans les annonces classées de l’Acadie Nouvelle, d’autres journaux et sur le site web Kijiji cette semaine nous révèle que les propriétaires immobiliers ne se gênent pas pour interdire la présence de ceux et celles qu’ils considèrent indésirables. Des appartements à Caraquet, à Tracadie, à Shippagan ou ailleurs sont désignés «Pour personne seule», «Adultes seulement», «Couple», «Pas d’animaux». Nous ne parlons pas de quelques annonces ici et là. Il s’agit plutôt de la majorité.
Tout ça ne date pas d’hier. En 2014, l’Acadie Nouvelle avait interviewé un couple de Caraquet avec deux enfants en bas âge pris dans une telle situation. «J’ai peut-être appelé 30 places, mais ils disent tous ‘‘Excuseznous madame, mais on ne prend pas d’enfants’’.»
Cette situation est généralement tolérée dans l’espace public parce qu’ils s’agit de propriétés privées. Les personnes responsables de ces logements rêvent de locataires modèles, tranquilles, qui paient leur loyer rubis sur l’ongle et qui ne causent aucun problème. C’est ainsi qu’ils en viennent à limiter l’accès à leur propriété à certains groupes démographiques. Et le citoyen moyen estime que ceux-ci sont parfaitement dans leur droit d’agir ainsi, puisqu’il s’agit de leur propriété.
Il n’y a qu’un problème avec cela, mais il est de taille. Il est interdit d’agir de cette façon. C’est de la discrimination.
La Commission des droits de la personne du Nouveau-Brunswick nous explique que l’âge et la situation familiale sont des motifs de discrimination en vertu de la Loi sur les droits de la personne. Il est donc interdit de refuser de louer sa propriété à une personne parce qu’elle est trop jeune, trop vieille ou parce qu’elle a la garde d’un enfant.
Une ligne directrice de la commission indique clairement que lorsque vous insérez une annonce publicitaire dans un journal ou que vous placez une affiche devant une propriété que vous désirez louer ou vendre, vous ne pouvez utiliser un message discriminatoire.
Les personnes victimes d’une telle discrimination peuvent donc se tourner vers la commission, laquelle tentera d’abord de résoudre le problème en contactant le propriétaire présumément fautif et en l’invitant à participer à un processus de résolution.
Si ça ne fonctionne pas, celle-ci entreprend une enquête. Le dossier peut éventuellement être porté devant un tribunal quasi judiciaire. Le processus est lourd et la plupart des personnes lésées baissent les bras bien avant ou ignorent tout simplement la marche à suivre pour se rendre jusque là.
Il est intolérable que le fardeau repose sur les victimes. Si elles ne portent pas plainte, personne n’interviendra en leur nom.
Or, répétons-le, les responsables de la Commission des droits de la personne du N.-B. n’ont besoin que de jeter un oeil dans la section des annonces classées de n’importe quel média ou site web pour voir des centaines de cas qui mériteraient une enquête en bonne et due forme. Personne ne se cache. Cela se fait au vu et au su de tous.
Tout cela est ridicule. La loi interdit de louer des appartements pour adultes seulement, mais les autorités tolèrent cette situation sauf si une plainte est portée. Il est temps de s’attaquer à la problématique au complet, et non pas en faisant du cas par cas. ■