Langues officielles au cabinet fédéral: qui est responsable de la patate chaude?
À l’approche du scrutin fédéral de 2019, le premier ministre Justin Trudeau voudrait redorer l’image de son gouvernement pour faire oublier les déboires de la ministre Mélanie Joly dans le dossier prioritaire de la culture. Lors du remaniement du 17 juill
Le Globe and Mail a reconnu l’urgence d’un changement au ministère et titrait ainsi une chronique de Kate Taylor le 19 juillet: «Taking on the culture file, Rodriguez is left to clean up Joly’s mess1» («Rodriguez est pris à nettoyer le désordre laissé par Joly.»
L’article conclut qu’en deux ans d’examen des politiques en matière de culture et de communications, la ministre n’a apporté aucune véritable solution pour l’avenir du contenu canadien dans l’ère numérique. Il fallait la retirer du front avant les élections, surtout après son cafouillage sur la capacité fédérale de taxer les géants du divertissement comme Netflix.
En point de presse lors du remaniement, on a demandé à Pablo Rodriguez s’il avait hérité d’une patate chaude de Mélanie Joly.
«J’aime les patates, a-t-il répondu, demeurant toutefois vague quant à son lien hiérarchique avec la ministre. C’est madame Joly qui est responsable des Langues officielles. On va surement collaborer. Les détails, je ne les connais pas.»
Il faudra attendre les lettres de mandat du premier ministre pour comprendre la division des tâches. La nouveauté, c’est que trois ministres se partageront le portefeuille, dont une des priorités est la modernisation de la Loi sur les langues officielles annoncée en mai par Justin Trudeau.
«UNE DÉMOTION CLAIRE ET NETTE»
Les Langues officielles demeurent une patate chaude pour l’administration libérale. Lors de la création du conseil des ministres, à la fin 2015, cette responsabilité ministérielle avait été supprimée. Les pressions des communautés de langue officielle ont finalement poussé le gouvernement à rétablir le titre parmi les affectations de Mélanie Joly.
Les nouvelles responsabilités de la ministre constituent une rétrogradation, selon plusieurs observateurs. Le politicologue de l’Université Simon Fraser, Rémi Léger, affirme sur Twitter que la ministre des Langues officielles n’aura pas le dernier mot. Deux ministères ont dans ce domaine des obligations législatives.
«La coordination de la Loi sur les langues officielles relève du Patrimoine canadien (Partie 7) et du Conseil du Trésor (Parties 4, 5 et 6).»
La ministre conserve les Langues officielles dans son titre, selon lui, mais les ministres Pablo Rodriguez et Scott Brison en demeurent les ultimes responsables.
«À moins de réviser la Loi, conclut Rémi Léger, Mme Joly serait effectivement une ministre d’État du Patrimoine canadien. C’est une démotion claire et nette.»
«L’EFFICACITÉ N’EST PAS GARANTIE»
Le sénateur Serge Joyal, un ancien ministre responsable des Langues officielles, estime aussi que Mélanie Joly se retrouve dans un rôle de soutien.
«Elle va administrer des programmes à titre de ministre d’État rattachée au ministre. À cet égard, on peut avoir des réserves sur les responsabilités qu’elle aura. Auparavant, elle avait la charge de l’ensemble du ministère.»
L’ancien secrétaire d’État libéral précise que la ministre ne disposera pas de ressources administratives complètes et ne sera pas appuyée par un ou une sous-ministre.
«C’est une position dont l’efficacité n’est pas garantie. Le seul avantage que je peux y voir, c’est qu’elle pourra concentrer tout son temps sur la révision de la Loi.»
Devant la presse, Mélanie Joly s’est montrée satisfaite: «Je suis contente d’avoir été la ministre qui a sécurisé le plus important budget de Langues officielles de notre histoire. Je vais continuer à travailler très fort pour la modernisation de la Loi.»
La ministre a consacré 18 mois de son mandat à élaborer le nouveau Plan d’action pour les langues officielles 2018-2023, assorti d’une nouvelle enveloppe de 500 millions $. Cet appui aux communautés minoritaires scellait toutefois pour encore cinq ans le plafonnement (à 1,3 milliard $ par tranche de cinq ans depuis 2003) des transferts aux provinces et territoires pour le Programme des langues officielles dans l’enseignement. ■