Michel Sparer, un homme de mots et de parole
Jean-Paul Dutrisac, Thomas Mulcair, René Villemure
Un homme de mots et de parole, un homme hors du commun nous a récemment quittés, sans faire de bruit, comme à son habitude.
Michel Sparer, un artisan de la première heure de la francophonie, était le rédacteur de la Charte de la langue française.
Michel était un jurilinguiste, c’est-àdire un rédacteur de lois. Il était un de ces hommes discrets, qui demeurent à l’arrière-scène, mais aussi un de ceux qui mettent en forme les changements sociaux qui laissent des traces. Michel se faisait un devoir et avait une fierté d’utiliser le bon mot, sur le bon ton, au bon moment. Ce qui, de nos jours, est devenu une qualité rare.
Pendant plus de 30 ans, Michel a enseigné la rédaction et la traduction des lois à l’université. Il est d’ailleurs le coauteur d’un manuel de référence (toujours d’actualité en 2018) intitulé «Rédaction des lois: rendez-vous du droit et de la culture».
Michel a toujours démontré un amour de la langue française dans chaque mot; il était de ceux qui croyaient que la culture et la langue devaient impérativement être des composantes de la rédaction des lois.
Québécois d’adoption, francophile convaincu, Michel a été un pionnier de la rédaction législative; il croyait qu’il fallait penser avec la francophonie avant de débuter la rédaction d’un texte de loi.
Passionné de langues et de linguistique, Michel a plaidé avec éloquence afin que les lois du Québec soient rédigées dans la tradition du droit civil français plutôt que dans un style inspiré de la Common Law anglaise. Ce qui fut fait.
Il a, dans la foulée, gravé encore plus profondément son empreinte sur la francophonie en étant l’artisan de la traduction en français des lois de l’Ontario et du Manitoba.
Toutefois, c’est à titre de Directeur des communications puis de Secrétaire général de l’Office des professions - organisme gouvernemental important de protection du public - que Michel a laissé une empreinte indélébile. Grâce à sa profonde connaissance du secteur, à son approche bienveillante et prudente ainsi qu’à sa suprême compétence en rédaction de discours. Michel aura été le conseiller de choix de plusieurs présidents de l’Office.
Rédacteur de nombreuses allocutions, notamment dans le domaine des professions, Michel, par sa pertinence du texte et par sa poésie des mots, prêtait parole et donnait le sens au discours. Michel souriait souvent, discrètement, lorsqu’il entendait ses mots écrits pour l’un être répétés par un autre.
Fondateur de l’Association pour l’usage et le soutien de la langue française, de «Québec dans le monde», ayant participé aux travaux du Conseil supérieur de la langue française, à l’orientation de l’Office québécois de la langue française ainsi qu’à la naissance de l’Ordre professionnel des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec, Michel avait une conception humaniste de la francophonie, une conception culturelle, où les valeurs de la francophonie devaient être prises en compte lors de l’élaboration de lois.
Michel a de plus, au fil de sa longue carrière publique, contribué à structurer la rédaction des lois hors de nos frontières, notamment au Burundi et en Côte d’Ivoire. Il savait que la politique et la législation linguistiques sont des choses délicates qui déchaînent facilement les passions.
Son style diplomatique, empreint de clarté, de concision et d’élégance nous a toujours fait penser qu’il parlait en italique. Michel avait une fierté de la francophonie qu’il désirait transmettre.
Enfin, Michel a mené au cours des dernières années une lutte acharnée afin que les employés québécois oeuvrant au Québec dans des secteurs qui étaient sous juridiction fédérale, puissent bénéficier des mêmes droits linguistiques, protégés par la Charte, et soient en mesure de recevoir leurs directives de travail en français plutôt qu’en anglais. À notre plus grande tristesse, ce débat demeure irrésolu.
Malgré ce dernier point, jusqu’à son dernier souffle, Michel aura gravé une empreinte durable sur la francophonie et sur le monde des professions.
«Vivre, c’est être utile aux autres», écrivait Sénèque. Michel nous l’a amplement démontré.
Ainsi, sans nécessairement le savoir, francophones et francophiles, nous sommes tous des héritiers de Michel Sparer.