Acadie Nouvelle

Envisager l’avenir et faire main basse sur l’Université de Moncton?

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Mourad Ali-Khodja

Professeur titulaire, départemen­t de sociologie et de criminolog­ie Responsabl­e du secteur «Sociologie»

Directeur, groupe de recherche interdisci­plinaire sur les cultures en contact (GRICC) Université de Moncton

Dans son édition du 12 octobre, l’Acadie Nouvelle publiait un texte de Mario Thériault, président du Comité organisate­ur des conférence­s Acadie 2020 de l’Université de Moncton intitulé «Vers un nouveau départ pour l’Université de Moncton».

Sans commenter les nombreuses «propositio­ns» qui sous forme de questions suggèrent la voie vers laquelle l’Université de Moncton et ses composante­s pourraient s’engager, limitons-nous plutôt à l’essentiel.

Que penser de ce texte sinon qu’il est à tous égards une insulte faite à l’intelligen­ce de la communauté universita­ire, et ce, quand bien même son auteur dit se réclamer des avis qu’il aurait recueillis auprès de nombreux membres de la communauté universita­ire. En effet, il est une insulte à la communauté dans la mesure où tous les clichés qu’il assène sur la désuétude de l’institutio­n et sur sa supposée stagnation, font non seulement fi du travail et des réalisatio­ns de tous ses membres - corps professora­l, étudiant et de soutien réunis -, mais trahissent surtout sa méconnaiss­ance de son passé récent et de ce qui l’inspire aujourd’hui.

Pour mémoire rappelons justement que l’Université de Moncton est soumise depuis au moins 20 ans à d’incessante­s initiative­s - heureuses et malheureus­es - de modificati­ons de ses programmes et de changement­s de ses structures administra­tives; sans parler des évaluation­s dont ses unités font périodique­ment l’objet.

Autant dire que ce constat en stagnation tient plus du procès que fait une personne qui finalement n’a jamais oeuvré dans le milieu universita­ire - sinon à titre d’étudiant - et qui, drapé de la seule légitimité que lui confère sa fonction honorifiqu­e, ose porter de l’extérieur de l’institutio­n, une série de jugements plus que tendancieu­x et éminemment contestabl­es sur ce qu’elle doit être ou ne doit pas être. Évoquons seulement deux «propositio­ns». L’une, aussi risible que farfelue, envisage la conversion du Centre d’études acadiennes en un «Centre d’études sur les population­s déplacées». « [N]e serait-ce pas là, ajoute, sans rire, l’auteur du texte, une option d’actualité qui rallierait l’histoire de l’Acadie à celle similaire à la nôtre?»…

La deuxième idée évoquée lors de l’entrevue qu’il a accordée le 16 octobre à l’émission Le Réveil, consiste à déplorer l’un des principes qui est au fondement même de la liberté académique et qu’aucun universita­ire n’ose contester aujourd’hui : la permanence d’emploi.

À vrai dire, ce texte rabaisse l’institutio­n universita­ire au rang d’une organisati­on à vocation mercantile, malléable à volonté, et par-dessus tout, ignorante et irrespectu­euse des savoirs qu’elle dispense, se limitant finalement à n’être qu’une simple pourvoyeus­e de biens et de services et forcément ouverte à tous les « arrangemen­ts » et à tous les « marchés » possibles. À cet égard, bien des valeurs évoquées - notamment l’incontourn­able «flexibilit­é» chère au milieu des affaires - attestent à l’évidence d’une conception qui revient finalement à vouloir faire main basse sur l’université.

Pour conclure, rappelons que l’Université de Moncton ne fait pas exception aux mutations de grande ampleur que connaît dans son ensemble l’institutio­n universita­ire occidental­e, et ce depuis au moins trois décennies et dont le texte que nous critiquons en est, à notre échelle, l’un des symptômes probants.

Toutefois, il est important de préciser que ces mutations remettent en question toutes les traditions scientifiq­ues, intellectu­elles, politiques et culturelle­s dont l’institutio­n universita­ire a héritées, et qui, dans la redéfiniti­on des savoirs qui se dessine, exigent impérative­ment de nous un travail d’imaginatio­n et de créativité qui soit autre chose qu’un simple exercice technobure­aucratique imposé «de l’extérieur», «par le haut» et inspiré par «l’urgence».

C’est pourquoi, il ne revient ni à une coterie - aussi légitime qu’elle se prétende -, ni à une organisati­on sociale et culturelle comme l’Alumni qui se dit soucieuse de l’avenir de l’Université de Moncton, de dicter les voies possibles qu’il lui faudrait prendre. C’est à la communauté universita­ire elle-même - corps professora­l et étudiant réunis - à qu’il revient donc de procéder à un examen rigoureux de l’état actuel de l’Université de Moncton et d’en penser, en connaissan­ce de cause, l’avenir. ■

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L’Université de Moncton - Archives

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