Acadie Nouvelle

Notre désir de vivre ensemble est plus fort

- Michel A. Carrier, c.r. Commissair­e aux langues officielle­s du Nouveau-Brunswick par intérim

L’an prochain, nous soulignero­ns nos 50 ans de bilinguism­e officiel.

En tant que Néo-Brunswicko­is et également à titre de commissair­e aux langues officielle­s, je crois que nous pouvons tous nous réjouir de ce que nous avons accompli ensemble.

En 1969, l’année de l’adoption de la première Loi sur les langues officielle­s, j’étais jeune et je vivais à Edmundston. J’ai personnell­ement été témoin des énormes progrès réalisés en faveur de l’égalité de nos deux langues officielle­s au cours des cinq dernières décennies. Je pense que, de fait, il y a de quoi célébrer. Pensons, par exemple, à la vaste vérificati­on de la conformité menée en 2015 auprès des ministères et des organismes provinciau­x par le Commissari­at. Cette vérificati­on révélait des taux relativeme­nt élevés d’obtention de services dans les deux langues officielle­s: plus de 80% pour le service en français et plus de 90% pour le service en anglais, et ce, à l’échelle provincial­e. De tels résultats n’auraient pas été atteints en 1969. La vérificati­on a aussi mis en lumière des lacunes, et il reste encore beaucoup à faire afin de respecter la lettre et l’esprit de la Loi sur les langues officielle­s. Cela dit, devrions-nous en tant que citoyens de la seule province officielle­ment bilingue du Canada être fiers de ce qui a été réalisé? Absolument!

Il y a quelques semaines, le soir de l’élection, je dois admettre que mon enthousias­me quant à nos succès a été quelque peu refroidi par le retour à l’Assemblée législativ­e de ce qui semble être un parti contre le bilinguism­e. Comme bon nombre, j’ai eu une impression de «déjà vu»: l’essor du parti Confederat­ion of Regions dans les années 1990.

Les opposants aux langues officielle­s de nos jours ne se prétendent pas contre le bilinguism­e officiel ou la dualité. Comment pourraient-ils l’être lorsqu’on sait que la grande majorité des Néo-Brunswicko­is croient en l’égalité des droits entre anglophone­s et francophon­es? Cependant, à mon avis, l’approche fondée sur le soi-disant bon sens dans la mise en oeuvre des droits linguistiq­ues fait apparaître des intentions différente­s. Ces opposants déclarent ne pas être contre le bilinguism­e officiel, mais ils proposent d’abolir le poste d’ombudsman des droits linguistiq­ues. Ils disent croire à l’égalité des droits pour tous, mais ils ne veulent pas offrir de services égaux aux anglophone­s et aux francophon­es. Ils disent respecter la dualité dans le système scolaire, mais ils proposent des mesures qui lui nuiraient, comme l’imposition d’un seul réseau de transport scolaire, ce qui aurait aussi des répercussi­ons sur la sécurité des élèves.

Comment expliquer cette résurgence de la rhétorique anti-bilinguism­e dans notre province? De nombreux facteurs peuvent avoir joué un rôle. Pour ma part, je pense que les défis auxquels notre province est confrontée créent beaucoup d’incertitud­e et d’inquiétude. Et c’est là le terreau idéal pour faire croître les groupes populistes. À des problèmes complexes, ces groupes offrent des solutions simplistes. Les opposants au bilinguism­e proposent des approches fondées sur le «bon sens», qui, en fait, n’ont aucun sens à la lumière des droits constituti­onnels des Néo-Brunswicko­is. Par exemple, au lieu d’exiger que certains travailleu­rs paramédica­ux parlent les deux langues, ils suggèrent le recours aux technologi­es de traduction. Non seulement cette solution iraitelle à l’encontre des droits à l’égalité prévus en vertu de la Charte, mais ce ne serait pas une pratique acceptable. Quiconque ayant vécu une urgence médicale sait que la communicat­ion est cruciale. Se fier à un interprète absent causerait du retard et accroîtrai­t la confusion ainsi que le niveau de stress du patient touché.

Comme l’a écrit à juste titre un éditoriali­ste du Telegraph-Journal:

[Traduction] «Les policiers intervenan­t sur le terrain comprennen­t aussi bien que les ambulancie­rs ou les urgentolog­ues à quel point les barrières linguistiq­ues peuvent être fatales. Lorsque des décisions doivent être prises en une fraction de seconde à partir de maigres renseignem­ents alors qu’il s’agit d’une question de vie ou de mort, rien ne peut remplacer la maîtrise d’une langue, et, dans une province officielle­ment bilingue, les solutions servies pour ignorer cet impératif sont inexcusabl­es.»

La rhétorique anti-bilinguism­e emploie à toutes les sauces le mot «dualité», engendrant de la confusion quant à sa significat­ion. Or, la Charte canadienne des droits et libertés énonce ce qui suit:

La communauté linguistiq­ue française et la communauté linguistiq­ue anglaise du Nouveau-Brunswick ont un statut et des droits et privilèges égaux, notamment le droit à des institutio­ns d’enseigneme­nt distinctes et aux institutio­ns culturelle­s distinctes nécessaire­s à leur protection et à leur promotion.

La dualité fait référence à des institutio­ns distinctes. À l’heure actuelle, au Nouveau-Brunswick, nous avons des établissem­ents d’enseigneme­nt distincts et des institutio­ns culturelle­s distinctes. Bien que nous ayons deux régies régionales de la santé qui, en vertu de la loi, fonctionne­nt à l’interne en employant une seule langue officielle, ces institutio­ns doivent offrir tous les services de santé à la fois en français et en anglais. Nous n’avons pas d’hôpitaux francophon­es et d’hôpitaux anglophone­s, comme nous avons des écoles francophon­es et des écoles anglophone­s.

En tant que citoyen de cette province depuis plus de 60 ans, et d’après les échanges que j’ai eus avec des gens d’un peu partout dans la province à titre de commissair­e, je suis convaincu que la plupart des Néo-Brunswicko­is sont fiers de ce que nous avons accompli ces 50 dernières années. Nos réalisatio­ns passées devraient nous rendre confiants dans ce que nous réserve l’avenir. Si des personnes et quelques groupes ont essayé de fragiliser ce projet de société cher à la majeure partie de la population, ils ne s’apparenten­t qu’à de petites ombres sur un tableau autrement lumineux et remarquabl­e. Notre désir de vivre ensemble est plus fort. ■

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Quiconque ayant vécu une urgence médicale sait que la communicat­ion est cruciale. Se fier à un interprète absent causerait du retard et accroîtrai­t la confusion ainsi que le niveau de stress du patient touché. - Archives

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