Notre désir de vivre ensemble est plus fort
L’an prochain, nous soulignerons nos 50 ans de bilinguisme officiel.
En tant que Néo-Brunswickois et également à titre de commissaire aux langues officielles, je crois que nous pouvons tous nous réjouir de ce que nous avons accompli ensemble.
En 1969, l’année de l’adoption de la première Loi sur les langues officielles, j’étais jeune et je vivais à Edmundston. J’ai personnellement été témoin des énormes progrès réalisés en faveur de l’égalité de nos deux langues officielles au cours des cinq dernières décennies. Je pense que, de fait, il y a de quoi célébrer. Pensons, par exemple, à la vaste vérification de la conformité menée en 2015 auprès des ministères et des organismes provinciaux par le Commissariat. Cette vérification révélait des taux relativement élevés d’obtention de services dans les deux langues officielles: plus de 80% pour le service en français et plus de 90% pour le service en anglais, et ce, à l’échelle provinciale. De tels résultats n’auraient pas été atteints en 1969. La vérification a aussi mis en lumière des lacunes, et il reste encore beaucoup à faire afin de respecter la lettre et l’esprit de la Loi sur les langues officielles. Cela dit, devrions-nous en tant que citoyens de la seule province officiellement bilingue du Canada être fiers de ce qui a été réalisé? Absolument!
Il y a quelques semaines, le soir de l’élection, je dois admettre que mon enthousiasme quant à nos succès a été quelque peu refroidi par le retour à l’Assemblée législative de ce qui semble être un parti contre le bilinguisme. Comme bon nombre, j’ai eu une impression de «déjà vu»: l’essor du parti Confederation of Regions dans les années 1990.
Les opposants aux langues officielles de nos jours ne se prétendent pas contre le bilinguisme officiel ou la dualité. Comment pourraient-ils l’être lorsqu’on sait que la grande majorité des Néo-Brunswickois croient en l’égalité des droits entre anglophones et francophones? Cependant, à mon avis, l’approche fondée sur le soi-disant bon sens dans la mise en oeuvre des droits linguistiques fait apparaître des intentions différentes. Ces opposants déclarent ne pas être contre le bilinguisme officiel, mais ils proposent d’abolir le poste d’ombudsman des droits linguistiques. Ils disent croire à l’égalité des droits pour tous, mais ils ne veulent pas offrir de services égaux aux anglophones et aux francophones. Ils disent respecter la dualité dans le système scolaire, mais ils proposent des mesures qui lui nuiraient, comme l’imposition d’un seul réseau de transport scolaire, ce qui aurait aussi des répercussions sur la sécurité des élèves.
Comment expliquer cette résurgence de la rhétorique anti-bilinguisme dans notre province? De nombreux facteurs peuvent avoir joué un rôle. Pour ma part, je pense que les défis auxquels notre province est confrontée créent beaucoup d’incertitude et d’inquiétude. Et c’est là le terreau idéal pour faire croître les groupes populistes. À des problèmes complexes, ces groupes offrent des solutions simplistes. Les opposants au bilinguisme proposent des approches fondées sur le «bon sens», qui, en fait, n’ont aucun sens à la lumière des droits constitutionnels des Néo-Brunswickois. Par exemple, au lieu d’exiger que certains travailleurs paramédicaux parlent les deux langues, ils suggèrent le recours aux technologies de traduction. Non seulement cette solution iraitelle à l’encontre des droits à l’égalité prévus en vertu de la Charte, mais ce ne serait pas une pratique acceptable. Quiconque ayant vécu une urgence médicale sait que la communication est cruciale. Se fier à un interprète absent causerait du retard et accroîtrait la confusion ainsi que le niveau de stress du patient touché.
Comme l’a écrit à juste titre un éditorialiste du Telegraph-Journal:
[Traduction] «Les policiers intervenant sur le terrain comprennent aussi bien que les ambulanciers ou les urgentologues à quel point les barrières linguistiques peuvent être fatales. Lorsque des décisions doivent être prises en une fraction de seconde à partir de maigres renseignements alors qu’il s’agit d’une question de vie ou de mort, rien ne peut remplacer la maîtrise d’une langue, et, dans une province officiellement bilingue, les solutions servies pour ignorer cet impératif sont inexcusables.»
La rhétorique anti-bilinguisme emploie à toutes les sauces le mot «dualité», engendrant de la confusion quant à sa signification. Or, la Charte canadienne des droits et libertés énonce ce qui suit:
La communauté linguistique française et la communauté linguistique anglaise du Nouveau-Brunswick ont un statut et des droits et privilèges égaux, notamment le droit à des institutions d’enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion.
La dualité fait référence à des institutions distinctes. À l’heure actuelle, au Nouveau-Brunswick, nous avons des établissements d’enseignement distincts et des institutions culturelles distinctes. Bien que nous ayons deux régies régionales de la santé qui, en vertu de la loi, fonctionnent à l’interne en employant une seule langue officielle, ces institutions doivent offrir tous les services de santé à la fois en français et en anglais. Nous n’avons pas d’hôpitaux francophones et d’hôpitaux anglophones, comme nous avons des écoles francophones et des écoles anglophones.
En tant que citoyen de cette province depuis plus de 60 ans, et d’après les échanges que j’ai eus avec des gens d’un peu partout dans la province à titre de commissaire, je suis convaincu que la plupart des Néo-Brunswickois sont fiers de ce que nous avons accompli ces 50 dernières années. Nos réalisations passées devraient nous rendre confiants dans ce que nous réserve l’avenir. Si des personnes et quelques groupes ont essayé de fragiliser ce projet de société cher à la majeure partie de la population, ils ne s’apparentent qu’à de petites ombres sur un tableau autrement lumineux et remarquable. Notre désir de vivre ensemble est plus fort. ■