Acadie Nouvelle

Une sortie lamentable

- Claude Soriano Dieppe

Dans son éditorial du 3 novembre titré Une sortie honorable, François Gravel affirme que «Brian Gallant a finalement choisi de nous offrir une sortie digne et solennelle, après le discours rassembleu­r que celui-ci a livré avant le vote sur le discours du trône».

François Gravel est seul responsabl­e de son éditorial, car celui-ci, contrairem­ent à la presse anglophone, ne représente pas l’opinion du journal. Personnell­ement, je vois là une sortie lamentable d’un premier ministre qui a voulu se maintenir au pouvoir, à tout prix, malgré son échec aux élections du 24 septembre. D’après moi, il aurait dû admettre son échec et démissionn­er ce soir-là, cela aurait été honorable et agir de façon responsabl­e, car ses chances de gagner la confiance de l’Assemblée législativ­e étaient très minces selon les résultats. La suite des événements m’a donné raison.

Même une entente avec le Parti vert ne lui donnait pas une majorité pour gouverner si les élus progressis­tes-conservate­urs ainsi que ceux de l’Alliance des gens restaient fidèles à leur chef. Mais il s’est servi de son privilège de tenter de former un gouverneme­nt comme la Loi constituti­onnelle de 1982 le lui permettait. Celle-ci stipule que «si au lendemain du scrutin, le parti qui était au pouvoir avant les élections n’obtient que le deuxième plus grand nombre de sièges, il peut quand même rencontrer la Chambre des communes nouvelleme­nt élue afin de déterminer s’il peut obtenir des partis minoritair­es un appui suffisant pour constituer une majorité de voix à la Chambre et continuer à gouverner». Cela s’est produit en 1925-1926 sous Mackenzie King, et en 1972, sous Pierre Trudeau. D’ailleurs Donald Savoie, qui n’est pas le dernier venu en la matière a dit que la Constituti­on donnait ce droit Brian Gallant, mais que ce n’était «pas sage».

La presse, en général, a fait état de cette situation rare et particuliè­re. Cependant, cette même presse a très peu ou pas du tout fait mention que dans le système parlementa­ire britanniqu­e dont nous avons hérité, la tradition veut que le parti ayant remporté le plus grand nombre de sièges gagne l’élection et dans ce cas, c’est le PC de Blaine Higgs qui a gagné avec 22 sièges, bien que minoritair­e.

Mathématiq­uement, les chances de Brian Gallant de se maintenir au pouvoir étaient très faibles avec ses 21 sièges. Le pourcentag­e des voix au niveau provincial n’a pas d’importance. Un candidat ou une candidate qui se fait élire avec 10 ou 11 voix de majorité, comme cela a été le cas, a autant de légitimité que celui ou celle qui gagne avec 5000 voix de majorité. Nous avons déjà eu des partis politiques avoir une majorité de sièges tout en ayant une minorité de suffrages au niveau provincial, on se souvient qu’un Parti libéral a eu 100% des sièges avec environ 60% des suffrages exprimés en sa faveur! Où était la représenta­tion des près des 40% qui n’avaient pas voté pour lui?

Combien de fois avons-nous vu des partis politiques gagner des élections avec moins de voix que le ou les partis perdants! Malgré tous ses efforts de maraudage ou de marchandag­e auprès de certains élus du PC, de Robert Gauvin en particulie­r qui s’est fait offrir un ministère… et malgré le refus public de celuici, Brian Gallant s’est accroché au pouvoir. Il s’est même permis de faire un remaniemen­t ministérie­l (dans quel but?), il a décidé de faire un discours du Trône où, dit-il, il est allé chercher de bonnes idées qui se trouvaient dans les promesses électorale­s des autres partis et ceci en faisant de vagues promesses générales, rien de précis. Il est même allé chercher des idées dans le programme de l’Alliance des gens afin de répondre à la population du N.-B.! L’Alliance des gens qu’il n’a cessé de diaboliser durant toute la campagne électorale.

Malgré ces actions, toujours pas d’entente avec un seul membre du PC… alors lui vient l’idée de faire des amendement­s à son discours du Trône. Du jamais vu; augmentati­ons du nombre d’ambulances, augmentati­on du salaire des ambulancie­rs, abandon du gel des tarifs de l’électricit­é, etc. Enfin, plus de bonbons pour tenter de gagner la confiance de l’Assemblée législativ­e et c’est alors que le PC et le parti de l’Alliance des gens lui répondent de façon on ne peut plus claire qu’ils voteront contre. Et c’est à ce moment, avant le vote décisif, qu’il fait une faute monumental­e, à mon avis, en faisant son mea culpa où il exprime ses regrets de ne pas en avoir assez fait pour promouvoir les avantages du caractère bilingue du N.-B. et de ne pas avoir combattu les mythes qui laissent croire que le bilinguism­e officiel est la cause de tous nos maux dans notre province, de ne pas avoir été assez à l’écoute de la population. Il avoue presque toutes les raisons qui lui ont fait perdre ces élections, un peu trop tard, à mon avis, d’où mon titre.

Dans son commentair­e du 3 novembre, Bernard Thériault, que l’on ne peut associer au PC, titre son commentair­e avec justesse, me semble-t-il, Chronique d’une mort annoncée. Celui-ci dit également que «prétendre que des conservate­urs mécontents pourraient traverser la Chambre relevait dès le départ d’une imaginatio­n trop forte ou encore d’un manque flagrant de réalisme. Ajouter à cela le bilan peu reluisant de Brian Gallant dans son dernier mandat quand vient le temps de coopérer, de consulter ou encore de parler à ses députés et on pouvait d’emblée reconnaîtr­e la trajectoir­e qui a mené l’ancien gouverneme­nt vers sa fin.»

Il dit également «Il semble tellement logique que le parti de Brian Gallant ne devait pas présenter de discours du Trône quand il savait fort bien que ni les conservate­urs ni l’Alliance n’allaient les supporter». Là, je rejoins ces commentair­es.

Il me semble qu’après 8 ou 10 jours de tentatives pour aller chercher un député du PC sans succès, Brian Gallant aurait dû démissionn­er. Cela aurait été une sortie honorable! Tenter de s’accrocher au pouvoir de la façon qu’il a faite, en donnant des bonbons pour essayer de gagner la confiance d’au moins un

élu, relève de l’imaginaire et c’est pourquoi je qualifie sa sortie de lamentable, car il a mené son parti à une deuxième défaite après celle du 24 septembre! Pourquoi les alliancist­es, qu’il a diabolisés, et les progressis­tes-conservate­urs, qui voyaient là une occasion en or de gouverner, lui auraient-ils donné leur appui? Deux défaites en cinq semaines, cela fait beaucoup.

Dans un autre éditorial, François Gravel dit que les services ambulancie­rs ont eu raison de Brian Gallant.

Là, je le rejoins, mais en partie seulement, car la campagne électorale a traité de ce sujet, mais a pris un virage linguistiq­ue bien plus important. Il a été beaucoup question de la position du parti de l’Alliance des gens qui se plaint que la dualité linguistiq­ue sert très mal les unilingues anglophone­s. Mais c’est là un discours que nous entendons depuis longtemps dans notre province, il n’y a là rien de nouveau. Mais il a été surtout question de l’unilinguis­me de Blaine Higgs et qu’un premier ministre devait être forcément bilingue. J’aurais aimé qu’il le soit. J’ai défendu la cause du français dans ces pages et ceux et celles qui me connaissen­t savent très bien mon attachemen­t à la langue française et à mes droits en tant que francophon­e. Cependant, en dénonçant l’unilinguis­me de Blaine Higgs malgré qu’il ait des filles bilingues (nous avons entendu une d’elles s’exprimer dans un français correct), une partie de la population de la province et une certaine presse envoyaient le message qu’un unilingue anglophone ne

pouvait aspirer à la plus haute fonction provincial­e alors que les anglophone­s représente­nt deux tiers de la population. Et là, le message du parti de l’Alliance des gens, formé essentiell­ement de loyalistes qui sont là depuis longtemps, prend une tout autre dimension. Il me semble que les résultats de ces élections relèvent beaucoup de cette situation qui nous est particuliè­re et unique avec laquelle il nous faut composer.

Nous voilà avec Blaine Higgs comme premier ministre qui promet de respecter nos droits linguistiq­ues. Je pense que ceux-ci sont protégés par des lois provincial­es qui ont été enchâssées dans la Constituti­on de notre pays et que nous avons gagné en Cour suprême tous les procès qui touchaient nos droits linguistiq­ues, que ce soit contre les gouverneme­nts du Manitoba et ceux des provinces maritimes et même contre des corps policiers y compris la GRC.

Cependant il nous faut être vigilants et nous sommes capables de nous défendre le cas échéant, nous l’avons amplement démontré dans le passé! On dit que la population du N.-B. n’est pas prête à retourner en élections dans un court terme à moins que Blaine Higgs ne se comporte comme s’il était majoritair­e. Un certain Joe Clark l’a appris à ses dépens, les plus anciens comme moi s’en souviennen­t…

Lui aussi devra s’en souvenir malgré le fait qu’il hérite d’une province avec une dette énorme et qui est encore plus près du gouffre qu’en 2014, selon Richard Saillant. ■

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