Denise Bombardier: le prix à payer pour être une femme libre et directe
Hector J. Cormier Moncton
Denise Bombardier publiait à l’automne ses mémoires intitulées Une vie sans peur et sans regret. À la suite de ses commentaires sur la vitalité des collectivités francophones à l’extérieur du Québec à l’émission Tout le monde en parle, elle ne s’est pas attiré un gros lot de sympathie. Pouvait-il s’agir des Acadiens elle qui dit en parlant d’eux: «(…) peuple au passé tragique qui continue de se battre pour conserver son identité, sa culture.»
Ne dit-elle pas d’elle-même qu’elle ne croit pas une seconde qu’il faille tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler. Elle n’est pas sans admettre, cependant, que ce genre de comportement lui crée des ennemis. Elle dit avoir payé le prix fort pour être une femme libre et directe, ce qu’elle assume.
On aime ou on n’aime pas Denise Bombardier. Elle est une passionnée de la langue française, d’un Québec souverain, de la France des ancêtres même si «le machisme des coqs français provoque chez elle des crampes.»
Elle n’y va de main morte dans ces 459 pages de souvenirs de sa vie personnelle et professionnelle. Elle n’épargne pas un certain réalisateur d’émissions d’enfants qui l’a agressée alors qu’elle n’était âgée que de 12 ans, mais sans le nommer. Elle ne se gêne pas de traiter Simon Durivage, avec qui elle a coanimé l’émission Le Point, de grossier et de vulgaire; de type qui ne respecte pas les autres. «L’air était irrespirable», dit-elle. Elle ne restera qu’une année à ses côtés.
Bombardier est issue d’un milieu modeste et peu pourvu de culture. Baignée dans un environnement familial où l’alcoolisme était largement présent tant du côté maternel que du côté paternel, elle n’a jamais pardonné à sa mère d’être restée aussi longtemps auprès d’un homme qu’elle traite de brutal et d’énergumène. Une thérapie analytique l’aidera à surmonter sa peur de basculer dans la folie ambiante qui s’était emparée de son univers très tôt dans son enfance.
Cependant, elle doit à sa mère sa curiosité intellectuelle et son amour de la langue française. Celle-ci réussissait à soutirer des sous de son mari pour lui faire donner des cours de diction d’une certaine madame Audet, femme cultivée, qui a donné à Denise, en plus d’une bonne élocution, la richesse des mots et l’amour de la culture. Elle sera une première de classe et poursuivra des études jusqu’au doctorat en sociologie à la Sorbonne. Sa thèse, portant sur l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF), avait pour objectif de démontrer que la télévision française était beaucoup plus l’instrument du gouvernement français qu’un moyen d’assurer une information libre.
Comme étudiante à l’Université de Montréal, elle adhérera aux idées progressistes de Jean Lesage et de sa Révolution tranquille. Elle sera vite impressionnée par la verve et la pensée politique de Pierre Bourgault, grand militant pour un Québec indépendant.
À un certain moment donné, Jacques Parizeau offrira à Denise Bombardier de devenir ministre de la Culture ou encore grande patronne de Radio-Québec. Quoiqu’elle ait eu de profondes convictions politiques, elle n’avait aucun goût pour un engagement en politique active.
Comme journaliste à Radio-Canada, tout n’allait pas sur des roulettes. On a craint à un moment donné ses fréquentations politiques dont celles avec Louise Beaudoin et Jacques Parizeau du Parti Québécois et Lisa Frulla du Parti libéral. Cela ne l’a pas empêchée de réaliser des entrevues d’importance au Canada comme ailleurs, notamment en France. Mentionnons, entre autres, celles tenues avec François Mitterrand, Alain Peyrefitte, Michel Rocard, Brian Mulroney, Pierre Elliott Trudeau, Marguerite Yourcenar, Anne Hébert, Antonine Maillet et Dany Laferrière.
Ses mémoires donnent l’occasion d’être les témoins privilégiés de cette évolution qui lie chaque événement de sa vie. Alors qu’elle aurait pu sombrer dans le découragement, elle a plutôt choisi de défier ses peurs et d’accomplir de grandes choses. Son livre Une vie sans peur et sans regret a le mérite de tenir le lecteur en haleine. ■