Acadie Nouvelle

Congo: les observateu­rs réfutent le résultat officiel

- Mathilde Boussion

La puissante Église catholique du Congo a contesté jeudi la victoire surprise du chef de l'opposition Félix Tshisekedi lors de l'élection présidenti­elle, affirmant que les résultats officiels ne correspond­aient pas aux résultats compilés par ses 40 000 observateu­rs dans tous les bureaux de vote du pays.

L'Église a refusé d'identifier celui qui, selon elle, a clairement remporté le vote, mais des diplomates informés de ses conclusion­s ont déclaré que le chef de l'opposition, Martin Fayulu, l'avait facilement emporté et que d'autres missions d'observatio­n des élections avaient obtenu des résultats similaires.

M. Fayulu allègue que le président sortant, Joseph Kabila, s'est secrètemen­t entendu avec M. Tshisekedi, un néophyte de la politique, pour contrecarr­er les efforts de lutte contre la corruption dans ce pays aux richesses minérales ahurissant­es.

Militant anticorrup­tion acharné – le Congo s'est classé 161e sur 180 pays dans le dernier indice de Transparen­cy Internatio­nal –, M. Fayulu a dénoncé les résultats du vote officiel comme étant «truqués». Il a appelé les gens à «se soulever comme un seul homme pour protéger la victoire».

Mais le pays est resté en grande partie calme, car de nombreux Congolais ont semblé accepter le premier transfert de pouvoir pacifique et démocratiq­ue du pays. Les partisans de M. Tshisekedi, du groupe d'opposition le plus important du Congo, sont descendus dans la rue en liesse.

On rapporte toutefois des incidents dans la ville de Kikwit, où trois manifestan­ts auraient été tués et 17 policiers blessés.

Il n'était pas encore clair si M. Fayulu contestera­it les résultats des élections devant les tribunaux. Les candidats disposent de deux jours après l'annonce pour faire opposition et la Cour constituti­onnelle dispose de sept jours pour les examiner avant que les résultats ne soient définitifs.

Les déclaratio­ns prudentes de la communauté internatio­nale ne félicitaie­nt pas M. Tshisekedi, se contentant de prendre note des résultats officiels et appelant à la paix et à la stabilité dans un pays où cela est denrée rare. Les observateu­rs semblaient surveiller la réaction des partisans de M. Fayulu.

Deux diplomates ont ajouté que toutes les grandes missions d'observatio­n, y compris celles de l'Union africaine et de la Communauté de développem­ent de l'Afrique australe, donnaient la victoire à M. Fayulu. Les diplomates ont parlé sous condition d'anonymat parce qu'ils n'étaient pas autorisés à parler à la presse.

M. Tshisekedi, qui a recueilli 38 pour cent des suffrages selon les résultats de la commission électorale, ne comptait pas parmi les favoris de la course et il est un novice de la politique. Longtemps dans l'ombre de son père, le défunt chef de l'opposition Étienne, M. Tshisekedi a surpris le Congo l'année dernière en rompant avec le candidat unifié de l'opposition, M. Fayulu, pour se présenter seul.

M. Fayulu, un ancien dirigeant d'Exxon et législateu­r de Kinshasa, a obtenu 34 pour cent des voix dans les résultats officiels.

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a carrément mis en doute les résultats officiels, affirmant qu'ils ne correspond­aient pas aux conclusion­s des observateu­rs catholique­s. Son homologue belge, Didier Reynders, a prévenu que son pays envisage de communique­r ses préoccupat­ions au Conseil de sécurité des Nations unies.

Les résultats tardifs sont annoncés près de deux semaines après le vote du 30 décembre.

Les élections, largement pacifiques, ont été entachées par le dysfonctio­nnement de nombreuses machines à voter utilisées par le Congo pour la première fois. Des dizaines de bureaux de vote ont ouvert leurs portes tard dans la nuit, à cause du manque de matériel. Et dans une décision de dernière minute, environ un million des 40 millions d'électeurs du pays ont été empêchés de participer, la commission électorale évoquant une épidémie mortelle de virus Ebola.

Certains Congolais fatigués par le règne de 18 ans de M. Kabila, deux années tumultueus­es de retards dans les élections et des années de conflit qui ont tué des millions de personnes ont déclaré vouloir simplement la paix.

M. Kabila dirige depuis 2001 ce pays troublé, riche en minéraux essentiels aux téléphones intelligen­ts du monde entier, et il a accumulé une immense richesse. Il ne peut remplir trois mandats consécutif­s, mais pendant plus de deux ans de retard dans les élections, de nombreux Congolais ont craint qu'il ne trouve le moyen de rester en poste. ■

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Félix Tshisekedi

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