«On est rendu là!»
J’aime beaucoup la fête des Rois. Parce qu’elle n’a pas été commercialisée, ceux qui la célèbrent sont peu nombreux et chacun y trouve son compte. C’est la fête de l’amitié pour ceux qui partagent la galette des Rois. La fête de l’intériorité pour ceux qui méditent la beauté des textes liturgiques. La fête de la lumière pour les allumeurs d’étoiles.
Après les Rois, il reste la fête du baptême du Seigneur avant de terminer le cycle liturgique de Noël. Même pour plusieurs pratiquants, cette fête ne dit pas grand-chose. Pour se la réapproprier, il peut être significatif d’en faire la fête de notre propre baptême. Ou d’en faire un moment de réflexion sur la préparation et la célébration du baptême.
Il arrive que des parents choisissent de ne pas demander le baptême pour leur enfant. Puisque l’être humain a besoin de rites, certains compensent en inventant une cérémonie laïque de bienvenue pour l’enfant. Souvent calqué sur ce qui se fait à l’église, cette sorte de «baptême civil» permet l’accueil du nouveau-né dans sa famille élargie et l’assignation d’un parrain ou d’une marraine (ou des deux).
Cette situation nouvelle doit interpeller les communautés chrétiennes. Souvent, au lieu de mener à une réflexion sur le sens du baptême et à une mobilisation pour une célébration de qualité qui nous ressemble, certains vont simplement jeter l’éponge en disant «On est rendu là!»
Ce lieu où nous sommes rendus n’est pas le lieu d’une démission. Nous sommes plutôt rendus à un moment propice pour réfléchir afin de redécouvrir le sens du baptême et trouver une manière de le célébrer d’une manière signifiante et belle. On peut même élargir la réflexion en posant la question: «Les sacrements ont-ils encore un avenir?»
Cette question se posait volontiers au lendemain du Concile Vatican II au nom d’une foi vécue dans un engagement social pour établir des conditions de justice entre tous. Elle n’explique pourtant pas la distance prise par plusieurs par rapport aux célébrations sacramentelles; au plus, elle permet de prendre la mesure de la désaffection. Elle suscite une réflexion qui dure depuis plusieurs années.
Le renouvellement de la théologie des sacrements a bénéficié des recherches historiques et bibliques du dernier siècle. En remontant aux origines de l’Église, on a pu voir que les rites ont la fonction d’intégrer un membre dans une communauté de foi et de vie. Ils sont aussi de puissants révélateurs du mystère de Dieu, l’au-delà de tout, qui laisse transparaître son identité à travers des gestes qu’une parole accompagne.
De plus, l’apport des sciences humaines permet de montrer la valeur des rites et des symboles dans toute vie humaine. Nous sommes plus que des êtres biologiques avec une mécanique comprise par la science. Nous sommes aussi des êtres spirituels qui trouvent dans les symboles (chrétiens ou autres) une manière de donner sens à nos vies.
Le besoin de ritualiser les grandes étapes de la vie (la naissance, le passage à l’âge adulte, la mort, etc.) n’est pas spécifique aux chrétiens. Chaque religion a ses cérémonies et ses coutumes. En dehors du monde religieux, on chercher à en créer.
Cela montre que les sacrements ont un grand avenir. Peut-être encore plus aujourd’hui pour ne pas réduire l’être humain à un statut d’objet et tout entier rationnel. Les sacrements permettent la rencontre entre un membre et une communauté. Ils sont un lieu de rendez-vous entre le Créateur et son peuple. Ils célèbrent une alliance qui sauve de l’isolement et de l’illusion de pouvoir se fonder soi-même.
Sans comprendre dans son entièreté la valeur des rites, j’aime les célébrer avec ceux qui en font la demande. Sans pouvoir épuiser la signification des symboles, j’ai le besoin de les utiliser pour nourrir ma quête de sens. Sans maîtriser tous les fondements bibliques et théologiques des sacrements, je trouve dans la célébration de ceux-ci une lumière qui a la capacité (même si elle faiblit) de réjouir.
Célébrer le baptême, c’est faire une plongée. Avec le Christ pour passer de la mort à la vie. Plonger aussi dans une histoire qui enracine autant dans un passé familial de rites porteurs de sens que dans un avenir ouvert par la célébration. Plonger enfin au coeur de soi pour entendre comme un murmure «Toi, tu es mon enfant bien-aimé; en toi, je trouve ma joie.» ■