Non à la proportionnalité en Colombie-Britannique: quelles leçons faut-il en tirer?
Les Britanno-Colombiens ont voté : ils ne veulent pas d’un scrutin proportionnel. Plus de 61 % des votants au référendum se sont exprimés en faveur du maintien du régime actuel, un mode électoral contesté pour son manque de représentativité. Trois politologues décryptent ce résultat devenu monnaie courante au Canada.
Du 22 octobre au 7 décembre 2018, 845000 personnes ont voté par voie postale en faveur du statu quo, contre 530 000 préférant le changement. C’était la troisième fois que la province du Pacifique tentait de changer le mode de scrutin par référendum, après deux échecs en 2005 et en 2009.
«On s’attendait à un résultat plus serré», s’étonne Nicolas Kenny, professeur d’histoire à l’Université Simon Fraser de Vancouver. Beaucoup avaient en effet l’impression que le moment était propice au changement et les sondages étaient plutôt partagés.
L’INERTIE DU SYSTÈME
«Le résultat ne m’étonne pas, confie Daniel Stockemer, professeur en science politique à l’Université d’Ottawa. Les institutions sont très difficiles à changer, car les gens s’accoutument et ça devient une partie de leur identité.»
En outre, le politologue note «une peur infondée chez les gens que les gouvernements dans un système proportionnel ne soient pas stables».
Pour l’historien Kenny, ce vote alimente l’idée que «le système électoral est un grand navire qui ne peut pas changer de cap facilement». Pourtant, l’histoire a montré que le système évolue avec la société pour s’en faire le reflet, rappelle-t-il.
L’enjeu est en effet celui de la représentativité. Le système actuel uninominal à un tour est souvent critiqué du fait que la répartition des sièges ne coïncide pas avec le pourcentage de votes obtenus. En comparaison, un système incluant une composante de proportionnalité apparaît plus équitable aux yeux de certains.
Le mode de scrutin actuel, issu des traditions parlementaires britanniques, correspond à un monde politique dominé par deux partis qui se disputent le pouvoir. «Mais le climat politique a beaucoup évolué, souligne Nicolas Kenny. En Colombie-Britannique, il y a trois partis importants et on en compte plusieurs sur la scène fédérale, ce qui explique qu’on se retrouve avec des gouvernements majoritaires sans la majorité des voix.»
VOLTE-FACE DES GOUVERNEMENTS ÉLUS
Certains observateurs de la vie politique voient une part de mauvaise volonté dans les échecs successifs aux référendums. En 2005, 58% des votants avaient opté pour le changement en Colombie-Britannique, mais un seuil de 60% était alors exigé. «Les dés étaient pipés, estime Nicolas Kenny. Beaucoup promettent, mais une fois élus, ils constatent que ça fonctionne bien pour eux et oublient.»
Oublient ou ne déploient pas des efforts convaincants: «Le premier ministre Horgan a tenu sa promesse électorale en organisant le référendum, mais on lui reproche d’avoir obscurci le processus», avance Nicolas Kenny.
Roger Ouellette, professeur et politologue à l’Université de Moncton, note de son côté une volteface de la part de François Legault au
Daniel Stockemer
Québec. «Dans son discours inaugural l’automne dernier, Legault a déclaré que la réforme du mode de scrutin nécessitait un consensus politique alors que dans la campagne, il avait rejetait l’idée d’un référendum. J’appelle ça un virage à 180 degrés.» Et ce n’est pas le premier retournement de veste selon l’expert. «On l’a vu avec le Parti québécois en 1976 et avec Trudeau en 2015. Ils semblent trouver une fois au pouvoir la vertu de la majorité sans majorité! »
DES ÉLECTEURS DÉSENGAGÉS
Enfin, le référendum britanno-colombien n’a pas fait exception à la tendance avec un faible taux de participation de 42,6%. «Une grande partie de la population ne s’est pas sentie investie», constate Nicolas Kenny, qui reconnaît que le référendum, relativement complexe, demandait un certain engagement de la part du citoyen.
Partout au Canada, le même résultat se répète ainsi d’année en année. Le référendum de réforme électorale à l’Île-du-Prince-Édouard en 2016 n’avait obtenu que 36,5 % de participation et, même si une majorité des votants s’étaient exprimés en faveur d’une représentation proportionnelle, le changement n’a pas été entériné. La population devrait d’ailleurs retourner aux urnes en octobre 2019. En Ontario, un vote s’était tenu en 2007 avec
Roger Ouellette
53% de participation, mais plus de 63% des votants avaient choisi de conserver le régime actuel.
La faible participation ferait même partie des inconvénients du système actuel. «Beaucoup de circonscriptions sont déjà prédéterminées et il y a donc moins d’incitation à aller voter, analyse Daniel Stockemer. Alors que dans la proportionnalité, il y a toujours une motivation pour gagner des sièges.»
C’est d’ailleurs le choix de pays comme l’Allemagne et la Nouvelle-Zélande. ■