Acadie Nouvelle

Les Jeux de la Francophon­ie: l’importance de la diplomatie

- Robert Melanson Président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick

Depuis que la nouvelle a éclaté en décembre concernant la montée en flèche des coûts associés à la tenue des Jeux de la Francophon­ie 2021 à Moncton, l'affaire a fait couler beaucoup d'encre dans les médias francophon­es du pays. Bien que cette polémique puisse être analysée sous plusieurs angles, la majorité des articles et des textes de réflexion sur le sujet se sont principale­ment centrés sur des arguments économique­s et, dans une moindre mesure, politiques. Toutefois, une autre perspectiv­e aussi importante doit absolument être prise en ligne de compte: celle de la diplomatie.

À l'ère de la mondialisa­tion, la diplomatie est un outil puissant d'échanges sur les plans culturels, sociaux et économique­s en plus de pouvoir faire entendre sa voix sur le plan internatio­nal.

L'Acadie ne dispose pas d'outils étatiques en matière de relations internatio­nales. Par contre, les aspiration­s acadiennes en matière de diplomatie se sont depuis longtemps manifestée­s par le biais de la Société nationale de l'Acadie (SNA), qui s'est vue investie de cette mission grâce à son histoire, sa ténacité, et surtout en ayant été reconnue par la France et plus tard la Belgique (ici, on pense notamment aux quatre grands Acadiens accueillis à Paris par le général de Gaulle comme des chefs d'État en 1968).

Quant à la province du Nouveau-Brunswick, elle fait partie de la «Francophon­ie» depuis 1977, date de son adhésion à l'Agence de coopératio­n culturelle et technique (ACCT). Cette prise de conscience provincial­e était largement influencée par les «relevés de conclusion­s» signés entre la SNA et l'État français. Cette visite avait provoqué bien des remous à Fredericto­n et à Ottawa, certes. Toutefois, elle a catapulté l'Acadie, et par extension la «situation acadienne», sur la scène internatio­nale. L'Acadie, désormais, était invitée dans la cour des grands.

Il va sans dire que le Nouveau-Brunswick a été admis à l'ACCT en grande partie grâce à l'influence de l'intelligen­tsia acadienne. Ce n'est pas exagéré de croire que la province du Nouveau-Brunswick en doit beaucoup à l'Acadie, car sans elle, cette dernière n'aurait jamais été acceptée comme membre de l'Organisati­on internatio­nale de la Francophon­ie (OIF), organisme qui regroupe 88 États et gouverneme­nts représenta­nt plus de 900 millions d'habitants répartis sur les cinq continents. Il est important de souligner ici que, du côté anglophone, le Nouveau-Brunswick n'est pas membre du Commonweal­th et que sa candidatur­e serait très certaineme­nt jugée utopique.

Mais c'est toute la province qui bénéficie de sa place à l'OIF, car c'est la province et son drapeau qui y sont représenté­s.

Oui, l'Acadie s'est montrée très courageuse, ambitieuse et déterminée en matière de francophon­ie internatio­nale, et ce depuis des décennies. Le président Jacques Chirac, lors de sa visite à Memramcook en 1999, a même souligné avec fierté que les Acadiens démontrent une «farouche déterminat­ion à demeurer eux-mêmes jusqu'à atteindre le statut de peuple». Les visionnair­es des actions et des initiative­s de l'Acadie sur la scène internatio­nale méritent tout notre respect, autant chez les francophon­es que chez les anglophone­s, car leur legs est énorme. Les différente­s ententes et échanges établis entre l'Acadie et divers pays de la Francophon­ie ont permis à des génération­s de boursiers à profiter d'occasions d'épanouisse­ment profession­nel, académique et personnel exceptionn­el. Ces boursiers sont devenus, entre autres, nos gens d'affaires, nos médecins, nos leaders politiques. Francophon­es et anglophone­s peuvent aujourd'hui bénéficier de leur vision, leur engagement et leur contributi­on économique.

La capacité financière du gouverneme­nt du Nouveau-Brunswick limite très certaineme­nt nos aspiration­s internatio­nales et cette réalité est la même pour les deux communauté­s linguistiq­ues. Mais si le gouverneme­nt du Nouveau-Brunswick se limite à la question financière pour analyser les coûts et les avantages des Jeux, ce sera le début de l'effritemen­t non seulement de la place de l'Acadie sur la scène internatio­nale, mais également de la place du Nouveau-Brunswick, et par extension des provinces atlantique­s à l'intérieur de notre fédération canadienne. Est-ce que notre statut en tant que «province pauvre» signifie que nous ne serons jamais dignes d'accueillir des évènements d'envergure internatio­nale sur notre territoire? Vivons-nous dans un Canada à deux vitesses: un Canada où les provinces fortunées peuvent jouer sur la scène internatio­nale et s'épanouir alors que les provinces dites «pauvres» sont condamnées à une éternelle gestion de décroissan­ce? En Atlantique, faisons-nous partie d'un Canada périphériq­ue?

La participat­ion du gouverneme­nt du Nouveau-Brunswick à l'OIF est une occasion à ne pas manquer. Il faut la saisir pour l'ensemble des Néo-Brunswicko­is et Néo-Brunswicko­ises, anglophone­s comme francophon­es. Les Jeux de la Francophon­ie, s'ils ont lieu, seraient le plus grand évènement sportif et culturel que l'est du Canada ait connu. Demandons à nos gouverneme­nts de voir les réels bénéfices de ces Jeux pour l'Acadie et pour le Nouveau-Brunswick, car c'est une occasion qui ne risque pas de se représente­r de sitôt. ■

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