Le gaz de schiste divise la région de Sussex
«Il y en a un ici, et là, et ici aussi...» Du haut d’une colline surplombant le village de Penobsquis, Beth Nixon nous pointe du doigt les puits forés par Corridor Resources autour de chez elle. Les activités d’extraction du gaz naturel sèment la controverse depuis des années dans la communauté.
Actif dans la région depuis près de 20 ans, le producteur possède 32 puits en activité, forés par fracturation hydraulique entre 2003 et 2014. Il exploite aussi un gazoduc de 50 km et une installation de traitement du gaz naturel.
En 2004, Corridor Resources a installé cinq puits sur le terrain de Beth Nixon. Bien que l’entreprise lui verse 6500$ par an, la résidente de Penobsquis préfèrerait voir cesser toute exploitation du gaz naturel dans le village.
«Aujourd’hui, il n’y a personne qui travaille sur le site. Il n’y a quasiment jamais personne autour des puits. On voit une douzaine de personnes qui viennent les inspecter deux fois par année, et c’est tout», observe-t-elle.
PROMESSES EXAGÉRÉES, RISQUES SOUS ÉVALUÉS
«Il y a peu de bénéfices économiques en dehors des périodes de forage. Les promesses de créations d’emplois et de redevances sont exagérées alors que les risques sont sous-évalués», précise Beth Nixon
En 2006, Corridor Resources a annoncé avoir traité 3000 litres de matière contenant des éléments faiblement radioactifs, qui se sont déversés à la suite d’un forage. Plus récemment, Beth Nixon a reçu une lettre de la part du producteur l’informant que le gaz s’échappant de deux de ses puits était corrosif et contenait des niveaux élevés de sulfure d’hydrogène. Depuis, elle s’inquiète des impacts sur la qualité de l’air.
«Quand j’ai appelé le ministère de l’Environnement, on m’a répondu qu’ils n’en savaient rien, rapporte-t-elle. Je ne pense pas que les résidents soient suffisamment informés. Les gens devraient savoir qu’une partie du gaz est corrosif et qu’il y a eu des fuites.»
La citoyenne se demande également ce qu’il adviendra des puits dont la plupart sont en fin de vie.
«Nous avons beaucoup de questions concernant leur démantèlement. Qui va retirer les tuyaux du sol, retirer le gravier, s’assurer qu’il n’y ait pas de déversements?»
UN BON EMPLOYEUR
Sur sa ferme située un peu plus loin, nous rencontrons Stephen Moffet qui tient un tout autre discours. C’est sur son terrain que Corridor Resources a construit son installation de traitement du gaz naturel.
«Moi je peux dire qu’il n’y a pas eu d’incident majeur. Après toutes ces années, nous n’avons pas de raison de douter du fait qu’ils puissent exploiter la ressource de façon respectueuse pour l’environnement», assure le propriétaire.
L’entreprise a embauché son fils et lui verse d’importantes sommes.
«C’est un bon employeur, ils travaillent bien avec les citoyens», insiste M. Moffet.
«Je serai très heureux de voir le développement reprendre. Ça créera des redevances, des taxes et des emplois pour la province, les retombées économiques seront énormes», ajoute-t-il.
Corridor Resources a cessé de recourir à la fracturation hydraulique depuis le moratoire imposé par le gouvernement Gallant en 2014. L’une des conditions à la levée du moratoire était alors l’acceptation sociale du développement de l’industrie du gaz de schiste.
Comment évaluer cette acceptation sociale aujourd’hui, à Penobsquis?
«C’est un terme vague et difficile à mesurer, argumente Stephen Moffet. Beaucoup de gens ne sont pas opposés, il y a certainement un soutien dans la communauté.»
Il est vrai que le conseil municipal de Sussex et plusieurs entrepreneurs du coin appuient la levée du moratoire et vantent le potentiel de l’industrie.
Le maire de Sussex, Marc Thorne, croit que le Nouveau-Brunswick devrait produire localement le gaz naturel plutôt que l’importer, afin d’approvisionner les grands consommateurs industriels, commerciaux et institutionnels.
«De nombreuses industries de la région accueilleraient favorablement une plus grande disponibilité du gaz naturel pour les aider à réduire leur facture», avance-t-il.
De son côté, la Chambre de commerce refuse de prendre parti car la question ne fait pas l’unanimité parmis ses membres.
Malgré tout, son président, Paul Bedford, milite pour une renaissance de l’industrie du gaz de schiste.
L’homme d’affaires a quitté l’Alberta il y a quelques années pour créer une entreprise spécialisée dans la vente de pompes et de compresseurs.
De nouveaux forages lui permettraient d’accroître ses ventes.
En 2016, lors d’un rassemblement en faveur de la levée du moratoire, M. Bedford a affirmé que «l’excuse de l’acceptabilité sociale ne s’applique pas à Sussex».