Acadie Nouvelle

L’Acadie, un peut-être?

- morinrossi­gnol@gmail.com

J’ai visionné à quelques reprises le spectacle de la Fête nationale à Dieppe. Selon Radio-Canada, la directrice artistique du spectacle, Lisa LeBlanc, souhaitait «qu’il y ait une réflexion par rapport à c’est quoi l’identité acadienne». Elle aura été servie.

En effet, après avoir accueilli la foule avec «un huge plaisir», elle nous présentait «la plusse fabulous Jass-Sainte Bourque», égérie de la soirée attifée en Évangéline qui a dit ressentir «une flood d’amour», et que devant ça «on pouvait pas, pas smiler». Elle voulait aussi «finder out quoisse qui a out there», et mettre le grappin sur un Gabriel aux grosses mains, précisant que «ça pourrait être anyone pis m’nir de anywhere».

Le show était lancé! Et voilà Édith Butler qui nous annonce qu’elle est «accompagné­e d’un all-star girls’ band» pour interpréte­r «Marie Caissie». Du reste, les femmes étaient à l’honneur: on a eu droit aux Bébés de Foin et, pour le numéro final, au Greater Moncton Girls Plus Rock venues transforme­r Jass-Sainte en Evangeline Acadian Queen, en hommage à Angèle Arseneault.

Plusieurs des artistes portaient des vêtements r’luisants. Oui, en ce 15 août 2019, l’Acadie de Dieppe, où loge, dit-on, l’Acadie du pouvoir, n’était pas seulement right fière: elle shinait par l’exemple.

Le spectacle a offert un éventail de musique et de chanson acadiennes, faisant se côtoyer des classiques comme Zachary et Édith, ainsi que des grands créateurs actuels tels que Joseph Edgar et Serge Brideau, l’homme au doigt éloquent, tout en accueillan­t des noms prometteur­s comme Maggie Savoie et Jeremy Dutcher.

Mon coup de coeur: Comté de Clare! J’en aurais pris toute la soirée! La musique trad réinventée façon 21e siècle qui marie le bon vieux violon et la console du Dj! C’est ça, l’Acadie qui s’affranchit!

On aime bien les tounes connues, mais on aime aussi que la musique nous entraîne ailleurs, dans des univers inexplorés – pensons à la mystérieus­e Marie-Jo Thériault! – plutôt que de nous faire faire du surplace.

Le violon (le son de l’âme!) était omniprésen­t du début à la fin. Comme le fil conducteur de l’évolution de la musique acadienne. J’ignore si c’était voulu ou l’oeuvre d’un heureux hasard créateur, mais le résultat final est que… c’était magnifique!

C’est après la fête du 15 août que s’est ouvert le Grand parle-ouère. Je me demande s’il ne serait pas plus logique de se livrer aux «corvées» de la réflexion avant la fête, pour mieux savourer la bamboula ensuite. C’est une simple question lancée dans l’univers, pas une critique, vu qu’on n’aime pas la critique en Acadie.

C’est pour cette raison que généraleme­nt, après quelque événement que ce soit en Acadie, le verdict est à peu près toujours le même: ce fut un succès, prestation­s brillantes, foule en délire.

Tenez, même l’amateurism­e du personnage de Jass-Sainte, désopilant­e coqueluche de l’heure, est encensé parce qu’on aime le comédien et qu’on ne veut pas le vexer en lui suggérant de tonifier son personnage attachant, de l’approfondi­r, de le densifier, pour éviter qu’il ne reste cantonné dans une caricature bancale de l’homosexuel ou de la diversité de genre, au risque de froisser à son tour certains membres de l’énigmatiqu­e communauté LGBTQ+, pour parler en lettres majuscules.

Le problème avec cette mentalité, c’est qu’on n’aide pas les autres à progresser, à s’améliorer, à développer leurs talents, à donner leur plein potentiel.

La critique objective est pourtant un plus qui permet de voir les failles et les faiblesses, et d’orienter par la suite ses efforts créatifs en vue d’offrir un «produit» à valeur ajoutée. C’est pas plus compliqué que ça.

Donc, le Grand parle-ouère. J’ai visionné une séance d’interventi­ons sur Facebook. Je suis peut-être mal tombé, mais je n’y ai entendu, quand je pouvais entendre, que des questions sans réponses et des réponses sans rapport! Et que dire de la piètre qualité de la présentati­on audio-visuelle: carrément inacceptab­le d’une université sérieuse en 2019!

Au CMA 2014, on se questionna­it sur les défis de l’Acadie. En 2019, on réfléchit sur l’Acadie d’aujourd’hui et de demain.

Mais quelqu’un se souvient de ce qui s’est dit au CMA 2014? Quels étaient ces défis au juste? Quelqu’un sait si l’on y a donné suite? A-t-on même colligé les Actes de ce colloque pour fin de références et de consultati­ons futures? Archives, quelqu’un?

À chaque Congrès, on échafaude un truc de communicat­ion pour que le bon peuple vienne s’exprimer devant des spécialist­es en tout. Quasiment comme une visite chez un psy. Ensuite?

Ensuite: rien. À la prochaine! Tourlou, tiguidou!

Quelque chose me dit que ce genre de forum lors d’un Congrès mondial a plus à voir avec l’octroi d’une subvention qu’avec l’aménagemen­t réel de l’avenir d’un peuple. Et dans le cas qui nous occupe: le peuple acadien, qui se cherche toujours après plus de 400 ans en Amérique.

Oui, l’Acadie se cherche une place. Parce qu’elle est éclatée en mille petits bourgs souvent enclavés, répartis sur un grand territoire qu’elle a toujours l’impression de squatter. Pour survivre, elle se fend en quatre: Niou-Brunswick, Nova Scotia, Prince Edward Island et Newfoundla­nd.

Et ses vis-à-vis, ses voisins, lui parlent la langue de la domination historique, militaire, politique, économique et de plus en plus culturelle.

On ne réglera pas ça dans un parloir, aussi grand soit-il, un lendemain de veille…

D’ailleurs, le fait qu’on ait appelé cet événement un «parle-ouère» – pour que le monde comprenne? – me semble un tantinet condescend­ant envers ce bon peuple qu’on imagine broutant des miettes de sagesse en bas d’une tour d’ivoire.

On n’en tient pas rigueur aux organisate­urs. C’est ainsi que ça fonctionne en Acadie, même fendue en quatre. Et dans cinq ans, on va recommence­r comme si de rien n’était.

En 2024, ceux qui étaient «nos jeunes» des premiers congrès parleront de «nos jeunes» avec la même conviction officielle. Peut-être reverra-t-on Zachary entonnant un «Réveille» encore plus résigné que celui de cette année? Peut-être faudra-t-il songer à y ajouter un paragraphe en anglais?

Peut-être, peut-être. L’Acadie ne seraitelle plus qu’un peut-être entre deux congrès?

Han, Madame?

 ?? - Archives ?? Le chanteur Serge Brideau des Hôtesses d’Hilaire, l’homme au doigt éloquent, lors du spectacle du 15 août à Dieppe.
- Archives Le chanteur Serge Brideau des Hôtesses d’Hilaire, l’homme au doigt éloquent, lors du spectacle du 15 août à Dieppe.
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