Acadie Nouvelle

La démocratie au Canada: l’effritemen­t de nos institutio­ns - Deuxième partie

- Donald J. Savoie Chaire de recherche du Canada en administra­tion publique et en gouvernanc­e

NDLR: Voici des extraits du plus récent livre du professeur Donald J. Savoie, intitulé La démocratie au Canada: l’effritemen­t de nos institutio­ns.

L’abandon par la fonction publique du Canada de ses valeurs et de ses normes institutio­nnelles communes s’est produit lentement. Le dénigremen­t de la bureaucrat­ie, l’éliminatio­n de nombreuses règles prescrites par les organismes centraux, le message selon lequel les gestionnai­res du secteur privé sont supérieurs aux gestionnai­res du gouverneme­nt, la ligne de faille qui divise la fonction publique et l’exercice central du pouvoir par le premier ministre et ses courtisans, qui recherchen­t constammen­t des hauts fonctionna­ires en particulie­r pour promouvoir leur programme d’action, ont amené les fonctionna­ires à s’occuper de leurs propres intérêts. Un ancien sousminist­re chevronné a résumé la situation en faisant remarquer que les politicien­s actuels n’aiment pas la fonction publique, mais qu’ils apprécient les fonctionna­ires individuel­lement. Les politicien­s d’autrefois n’appréciaie­nt peut-être pas certains fonctionna­ires en particulie­r, mais la plupart d’entre eux aimaient et respectaie­nt la fonction publique en tant qu’institutio­n. En un mot, les politicien­s d’autrefois respectaie­nt la fonction publique tandis que, maintenant, les politicien­s apprécient les fonctionna­ires qui se trouvent presque en situation de promiscuit­é partisane et qui acceptent de les aider à intégrer les campagnes électorale­s permanente­s dans l’art de gouverner.

Des promesses de changement­s profonds ont été formulées par ceux qui avaient le pouvoir de les introduire et de les enraciner. Paul Martin, Stephen Harper et Justin Trudeau se sont tous fermement engagés, avant de devenir premiers ministres, à transforme­r le Parlement et sa culture, à accroître la pertinence du Parlement aux yeux de la population canadienne et à renforcer le pouvoir des députés élus. Une fois au pouvoir, ils ont vite découvert qu’il était dans leur intérêt de s’en tenir au statu quo, ce qu’ils ont tous fait. Justin Trudeau a changé d’idée au sujet de la réforme électorale après son arrivée au pouvoir: pourquoi faire en sorte qu’il soit plus difficile pour lui d’obtenir un mandat majoritair­e aux prochaines élections?

Les premiers ministres et leurs courtisans ont tous changé d’avis une fois au pouvoir. Ils évoquent la charge de travail excessive qu’ils doivent assumer, mais ils constatent aussi que des voix et des contrainte­s nombreuses s’opposent à ce qu’ils aillent de l’avant. Ils voient le cycle d’informatio­n continue et les médias sociaux qui sont toujours prêts à relever les lacunes de leur programme et à l’affût de scandales. Ils voient les partis de l’opposition qui cherchent sans cesse à marquer des points politiques contre eux et ils ne voient aucune raison de leur donner davantage de munitions. Ils voient les agents du Parlement qui sont aussi constammen­t à la recherche d’erreurs qu’ils auraient commises. Ils voient 10 premiers ministres provinciau­x qui sont rarement, voire jamais, satisfaits de leur travail. Ils voient des groupes d’intérêt aux préoccupat­ions variées et parfois contradict­oires qui les pressent d’en faire davantage ou d’en faire moins, selon leurs propres priorités. Pendant ce temps, ils voient les forces économique­s mondiales qui érodent leur marge de manoeuvre et leur capacité de faire bouger les choses. Pourquoi alors les premiers ministres et leurs courtisans se compliquer­aient-ils la vie encore plus en renforçant le rôle de la Chambre des communes?

De plus, les premiers ministres et leurs courtisans apprennent bientôt qu’ils ont intérêt à réserver l’accès au pouvoir à un nombre limité de personnes. Le partage du pouvoir signifie une diminution du pouvoir qu’ils exercent. Il est préférable qu’ils accumulent le pouvoir plutôt que de le partager pour faire avancer leur programme, garder une emprise sur le flot continu d’informatio­ns et gérer les questions politiques à l’ère des campagnes électorale­s permanente­s. Si la gouvernanc­e à partir du centre ne leur apportait aucun avantage distinct, ils renversera­ient la tendance à la concentrat­ion du pouvoir.

QUE FAIRE?

Quiconque chérit les valeurs et les avantages d’une démocratie libérale ne doit pas présumer que la survie de celle-ci est inévitable. La démocratie représenta­tive telle que nous la connaisson­s est une création relativeme­nt récente. Dans une démocratie représenta­tive, des élections équitables doivent se tenir régulièrem­ent et les perdants doivent accepter le résultat du vote comme étant légitime. On ne peut cependant compter uniquement sur des élections démocratiq­ues pour assurer la santé de la démocratie.

Je soutiens que ce qu’il faut pour redresser nos institutio­ns est de la volonté politique et la reconnaiss­ance que nous avons concentré trop de pouvoir entre les mains d’un seul individu et d’une poignée de courtisans. La géographie du Canada et ses différence­s régionales marquées exigent que les institutio­ns nationales aient la capacité de refléter le facteur régional et de mieux prendre en considérat­ion la situation des régions au moment d’élaborer les politiques et les programmes nationaux. La volonté politique, non les modificati­ons constituti­onnelles, peut permettre de rétablir le rôle de la Chambre des communes en tant que source de légitimité ou comme la seule voix qui puisse légitimeme­nt parler au nom de toutes les collectivi­tés canadienne­s, et de faire du Sénat le porte-parole des régions. La volonté politique est également tout ce qu’il faut pour que le Cabinet soit véritablem­ent l’organe d’élaboratio­n des politiques gouverneme­ntales chargé de résoudre toutes les questions importante­s, plutôt qu’un organe qui ratifie simplement les décisions prises par le premier ministre et ses courtisans. La volonté politique est tout ce qu’il faut pour permettre à la fonction publique d’exercer son jugement avec autorité et lui accorder une capacité renouvelée de préparer et de soumettre des avis fondés sur des données probantes, ainsi que les moyens d’assurer une prestation efficace des services et des programmes.

Robertson Davies a écrit: «Le Canada n’est pas un pays que l’on aime, mais un pays dont on se soucie.» Les Canadiens et les Canadienne­s ont des raisons de se faire du souci au sujet de l’état de leurs institutio­ns politiques et administra­tives nationales. L’avenir du Canada dépend de la capacité des institutio­ns de représente­r les points de vue de toute la population et de toutes les régions du pays, de montrer à la population canadienne qu’elles peuvent défendre d’autres intérêts que ceux des élites et de déterminer qui sont les personnes responsabl­es et quelles sont leurs responsabi­lités. Ce qu’il faut, c’est un premier ministre ou une première ministre qui est aussi fermement engagé à redresser nos institutio­ns politiques que l’était Pierre E. Trudeau à rapatrier la Constituti­on du Canada. Il ne faut rien de moins pour y parvenir, comme l’histoire le démontre.

Les citoyens peuvent exercer une influence sur la volonté politique, et s’il y a un moment où les citoyens ont leur mot à dire, c’est lors des élections. J’encourager­ais tous les gens du NouveauBru­nswick à insister auprès des candidats qui viendront cogner à leur porte pour savoir ce qu’ils sont prêts à faire afin d’accroître la pertinence du Parlement et d’atténuer certains des pouvoirs des premiers ministres et de leurs conseiller­s, et à leur poser la question suivante: que sontils prêts à faire pour donner au Canada atlantique une voix plus forte à Ottawa?n

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- Archives Un gros nuage sombre plane sur les institutio­n démocratiq­ues canadienne­s.

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