VIVRE AU BORD DU GOUFFRE
Les économistes et politiciens aiment parler du gouffre financier. De leur côté, Rénald L. Guignard et son épouse Mabel vivent littéralement au bord d’un gouffre. En raison de l’érosion, leur maison, construite vers 1850, est aujourd’hui dangereusement proche de la mer. On craint qu’elle tombe à l’eau.
Rénald L. Guignard, âgé de 76 ans représente la 6e génération de la famille Guignard à habiter dans cette maison, située sur la rue Paulin, à Sainte-Marie-Saint-Raphaël. Si rien n’est fait, il craint d’être le dernier.
Au cours du dernier siècle et demi, la maison a été témoin des effets de l’érosion dans cette communauté côtière.
Dans une vieille photo non datée, on aperçoit une grange et des remises derrière la maison. Un article de journal de 1968 portant sur la noyade d’un garçonnet mentionne que la maison de son grand-père, où s’est produit le triste événement, se situait à 300 pieds de la mer. Cette résidence se trouve sur la même rue que celle de Rénald et Mabel Guignard.
Aujourd’hui, il reste environ 33 pieds entre la maison et le rivage, mais il pourrait en rester moins. Aucune mesure n’a été effectuée depuis le passage de la tempête Dorian au début septembre.
«Depuis que je suis jeune, je dirais que nous avons perdu environ 400 pieds de terrain. Ma tante, qui est née ici, est décédée l’an dernier à 88 ans. Selon elle, lorsqu’elle était jeune, la maison était à 600 ou à 700 pieds de la côte», dit M. Guignard.
Avant le début de Dorian, des représentants de la municipalité sont passés chez eux afin de leur proposer de passer la tempête dans un lieu sécuritaire.
«J’ai dit non. J’ai dit, je suis comme un pêcheur et si mon bateau coule, je vais couler avec. Le village voulait faire ses devoirs, mais pour nous, si la maison tombe, on tombe avec. On est resté...»
N’empêche que l’emplacement actuel de la maison demeure une source d’angoisse. Lorsque le vent se lève et que la mer devient un peu agitée, il arrive que les vagues arrosent la fenêtre de la cuisine.
Auparavant, les résidents du littoral de l’île Lamèque pouvaient s’attendre à du répit en hiver. Les berges étaient protégées par la glace sur le golfe du Saint-Laurent, mais depuis quelques années, la mer ne gèle plus ou la période de gel est moins longue. Comme les berges sont sablonneuses, l’érosion s’accélère.
Puisque la maison se trouve maintenant à moins de 50 pieds de la mer, le couple affirme que plus personne ne veut les assurer.
«S’il arrive quelque chose dans le mauvais temps, même si la mer n’avait aucun rapport, il faut payer les réparations de notre poche.»
Les Guignards aimeraient déménager leur maison patrimoniale sur un terrain familial, situé de l’autre côté du chemin.
Des estimations ont été réalisées en 2008 pour déménager la maison plus près du chemin. Le coût s’élevait à environ 57 500$. Le couple évalue que le déménagement de leur maison sur un terrain familial pourrait facilement coûter 100 000$ ou plus.
«Ça n’aurait pas de bon sens de faire un prêt de 100 000$ à notre âge. On peut dire que nous avons déjà les deux pieds dans la terre. On ne pourrait jamais rembourser ce montant au complet», dit Mabel Guignard.
Le couple demande l’aide du gouvernement provincial pour couvrir les frais de déménagement, mais aucun programme n’existe dans la province pour aider les propriétaires menacés par l’érosion, confirme un porte-parole du ministère de la Sécurité publique.
Les Guignards aimeraient que le Nouveau-Brunswick suive l’exemple du Québec où le gouvernement provincial a mis en place un programme d’assistance financière pour soutenir les propriétaires de maison et d’entreprises menacés par l’érosion. ■