La Frônce plie bagage?
J’apprends avec horreur que le Consulat frônçais de Moncton fermera ses portes! Nos arrière-cousins gaulois nous abandonneraient-ils? Encore? Ö doulce Frônce, pourquoi te fais-tu souffrônce?
Aurait-on perdu l’esprit de famille dans l’Hexagone, alors qu’ici on fait tant d’efforts pour apprendre par coeur nos patronymes familiaux, et en ordre alphabétique de surcroît, grâce aux congrès mondiaux?
Comment justifier que le président Macron s’apprêterait à larguer l’Acadie dans la mer anglophone qui inonde l’ancienne Nouvelle-Frônce? Est-ce parce qu’il aime bien lui-même s’exprimer en anglais, ceci expliquant cela?
Quoi qu’il en soit, ça m’a donné un coup au plexus. Et j’ai été étonné de ce sentiment de tristesse, car je n’avais pas conscience d’être si attaché à ce consulat où je n’ai jamais mis les pieds!
Mais je le savais là, c’était sécurisant, je savais la Frônce parmi nous, possiblement sensible à nos valeurs et à notre identité. (Bien que les mots «valeurs» et «identité» soient plutôt des maux à éviter pour l’actuel gouvernement français!)
Pourtant, nous avons tant en commun! Même que l’Acadie, autrefois avant-poste du pays des Lumières est aujourd’hui passée à l’avant-garde!
Par exemple, nos tinamis frônçais sont inéluctablement attirés par l’Amérique comme des papillons de nuit s’immolant sur la première lampe à kérosène venue. Nous, nous comprenons bien ce phénomène: nos ailes culturelles brûlées en témoignent douloureusement.
Dans les documentaires, les téléséries et les films venus du pays de Clovis, les jingles tintinnabulent en anglais. Nous, nous savons déjà chanter en anglais la toune au complet!
Les sociétés et boutiques du pays des Fromages adorent les appellations anglaises. Ici, c’est fait depuis belle lurette. À tel point qu’une rumeur circule à l’effet que certains francophones exigent plus d’affichage commercial dans la langue de Greenwool, oups, pardon, Verlaine. (Sans doute des exaltés qui veulent qu’on marche à la baguette!)
Autre exemple éloquent: le slogan des Jeux olympiques de Paris en 2024, c’est «Made for Sharing», si j’ai bien compris. Nous, nous avions déjà donné le ton avec le célèbre «Right fiers».
Certes, cette fierté débridée ne nous a pas évité la débandade aux Jeux de la Francofunny que le gouvernement Higgs-Austin a rituellement sacrifiés sur l’autel de l’inconscience et de l’indifférence, les deux mamelles nourrices du gouvernement provincial actuel, et l’on ne souhaite pas que la patrie des droits de l’Homme connaisse le même sort, car il faudrait alors envisager la possibilité d’une guigne de nature généalogique!
Malgré l’épreuve annoncée, restons forts et faisons montre de bravitude, comme le disait si bien, dans un élan sémantique demeuré célèbre, Madame Royale. (Et je ne parle pas de la fille de Louis XVI.)
Certes, il serait faux de prétendre que la France abandonne l’Acadie, car je crains que l’Acadie n’ait déjà tiré la révérence à sa mèrepatrie, l’une et l’autre séduites par le Grand Tout de l’anglophonie américaine!
C’est même l’une des raisons le plus souvent invoquées pour expliquer l’existence des langues hybrides locales, telles que le chiac, le franglais, le joual, le brayon ou l’acadjonne, tant vantées par d’éminents éveilleurs de conscience de la nation!
Alors, worry pas ta brain, French Academy!
Même si nous ne chanterons plus ensemble
We Are Family, nous entonnerons en canon We Will Survive!
Cela dit, ma tristesse est bien réelle. Mon âme imbibée de francitude a tellement pleuré qu’elle a dû aller s’acheter d’autres larmes, comme le dit un poète dans les contes des Mille et une nuits. Et j’ai ajouté ces larmes à l’océan de regrets qui émeut l’Acadie.
Il me semble que c’est l’épopée gaullienne de l’aventure acadienne en Amérique qui chute brutalement dans les limbes de l’Histoire.
Malheureusement, là où de Gaulle voyait «libération des peuples», dans ses rapports avec l’Acadie et le Québec, ici, on y a surtout vu prétexte à de l’affectif plutôt que du politique, préférant se mirer dans une forme de soumission sentimentale plutôt que de saisir l’occasion de transiger comme peuple, d’égal à égal, avec un autre peuple.
Enfin, cette nouvelle tombe du ciel au moment où les francophones du NiouBrunswick doivent faire le tri de moult nouvelles «linguistiques»: le rapport du Commissaire aux langues officielles, Michel Carrier, jette un pavé dans la mare glauque du bilinguisme de l’État et recommande, entre autres, la création d’un Secrétariat aux langues officielles, demande aussitôt rejetée à droite par le premier ministre Blaine Higgs menacé sur sa propre droite par le co-premier ministre fantôme Kris Austin prêt à faire tomber son allié s’il fait trop d’oeillades aux francophones.
Et je ne parlerai pas du dossier du bilinguisme des ambulanciers, ni de celui des foyers de soins, ni de l’immigration francophone qu’on ne sait plus comment appâter. Ni même de Denise Bombardier qui s’est encore enfargée à «Tout le monde en parle» dans ses analyses de la francophonie canadienne, non pas que sa perception soit vraiment fausse, mais parce qu’elle se drape dans de vains arguments d’autorité pour pallier son manque de connaissance.
Je ne parlerai pas non plus de l’absence de discussion sur le fait français canadien lors du débat des chefs, lundi, à la Cibici anglaise, alors que c’est justement aux anglophones que ces chefs devraient expliquer l’importance historique et culturelle du fait français au Canada!
Mais attendez-vous, lors du débat de demain soir à la Cibici française, qu’ils fassent des mamours aux francophones du pays, vantant la vitalité de leurs communautés, leur joie de vivre toujours très légendaire, leur contribution évidemment inestimable au Canada. Je prédis même que l’un d’entre eux prononcera le mot «résilience». Possiblement deux fois.
En revanche, une bonne nouvelle; que disje, une nouvelle historique! Oui, le gouvernement du Niou-Brunswick adoptera une politique favorisant l’affichage prioritaire français dans les régions francophones!
Ciel, cinquante ans après l’adoption de la loi sur les langues officielles, les visiteurs francophones n’auront plus besoin de lire de l’anglais en premier pour savoir où ils sont rendus en Acadie! Je me peux plus! Alléluia!
Et c’est précisément à ce moment mirobolant que la Frônce plie bagage? Zut!
Han, Madame?