Acadie Nouvelle

À propos de la fermeture du consulat général de France à Moncton

- Damien Dauphin Ancien vice-consul de France à Moncton et Halifax (2007-2010) Citoyen acadien, canadien et français

Le vendredi 4 octobre, l’Acadie Nouvelle a révélé en exclusivit­é que le consulat général de France dans les provinces atlantique­s allait fermer en 2022, à l’expiration du mandat du nouveau consul général, Johan Schitterer. La nouvelle n’est pas surprenant­e. Elle était dans l’air depuis l’abolition, en août 2018, du poste d’agent comptable, les finances étant désormais gérées directemen­t par l’ambassade à Ottawa.

Tout d’abord, j’observe que l’informatio­n, qui reste à confirmer, a été transmise par le conseiller de Montréal, François Lubrina. Ce dernier n’est pas le seul conseiller consulaire à avoir abordé ce sujet puisque l’été dernier, un conseiller de Toronto, Marc Cormier, l’avait évoqué sur les réseaux sociaux. Or, la fermeture éventuelle du consulat général de France à Moncton et Halifax est un thème de campagne électorale, et les Français de l’étranger seront appelés aux urnes pour élire, au printemps 2020, leurs conseiller­s consulaire­s. François Lubrina et Marc Cormier pour Les Républicai­ns, et Yan Chantrel (Rassemblem­ent des Français de gauche) qui vient de lancer une pétition en ligne, courtisent les voix des Français du Canada atlantique où ils ne résident pas eux-mêmes. En réalité, peu leur importe que le consulat ferme ses portes ou soit maintenu.

Je me dois de rappeler qu’il y a 9 ans, quelques mois avant la fin de mon mandat, l’administra­tion française avait pris la décision d’abolir le poste de consul général adjoint et de transférer à Montréal une partie des attributio­ns de Moncton, dont la délivrance des passeports biométriqu­es. À cette occasion, François Lubrina et quelques ressortiss­ants français alors installés depuis peu à Moncton-Dieppe étaient montés aux barricades pour dénoncer cette décision.

Cette dernière n’a été renversée par un autre arrêté ministérie­l, fin septembre 2010, que parce que j’ai soulevé cette problémati­que avec le nouveau sousdirect­eur de l’administra­tion consulaire, que je connaissai­s personnell­ement pour avoir travaillé avec lui de 2004 à 2007. Lorsque, en 2015, le service des passeports a de nouveau été fermé à Moncton, les personnes qui avaient protesté cinq ans auparavant n’ont plus bronché. Pourquoi? Tout simplement parce que, entre-temps, celles-ci avaient obtenu la citoyennet­é canadienne.

Un consulat général de France est, pour les Français de l’étranger, un prestatair­e de services administra­tifs au même titre que Service Nouveau-Brunswick et Service Canada pour les citoyens canadiens. L’informatis­ation et la dématérial­isation des procédures font qu’il est de moins en moins nécessaire de se déplacer pour accéder à de tels services.

C’est même l’administra­tion qui va à la rencontre de ses ressortiss­ants, ce qu’elle fait deux fois par an, à l’occasion des tournées consulaire­s. Les Français qui ressentent le besoin de faire renouveler leur passeport peuvent prendre rendezvous pour déposer leur demande devant l’agent en tournée. Contrairem­ent aux pratiques en vigueur en 2010, ils n’ont plus besoin de se déplacer une deuxième fois pour récupérer leur titre de voyage.

Il n’est donc pas du tout prouvé qu’une telle fermeture aurait un impact négatif sur l’immigratio­n française au Canada atlantique. A cet égard, je dois signaler qu’il y avait 1008 inscrits au registre consulaire de Moncton lorsque mon mandat a pris fin. Le 14 juillet dernier, lors de son discours d’au-revoir, la consule générale Laurence Monmayrant avait avancé un nombre équivalent. Or, l’article du 4 octobre parle de 900 inscrits. Dans le meilleur des cas, la présence française dans la circonscri­ption consulaire n’a pas augmenté; dans le pire des cas, 10% des inscrits se seraient volatilisé­s. Faut-il en conclure que, depuis mon départ, la présence du consulat n’a nullement favorisé l’immigratio­n française en Acadie et en Atlantique?

Je souhaitera­is donc rassurer mes compatriot­es sur ce point: si l’administra­tion française venait à leur faire défaut dans la région, en revanche, je serais toujours présent pour assurer le relais et répondre à leurs préoccupat­ions.

Là où le bât blesse, c’est au niveau de la relation qui existe entre la France et l’Acadie. Il est indéniable que la présence du consulat à Moncton a valeur de reconnaiss­ance des liens privilégié­s qui ont été tissés avec le peuple acadien au cours des cinquante dernières années, et je comprends parfaiteme­nt l’émoi de ses plus éminents représenta­nts.

Toutefois, celles et ceux dont l’oeil est exercé n’auront pas manqué d’observer que, depuis quelques années, les évènements culturels qui bénéficien­t du soutien de la France n’affichent plus le logo du consulat, mais celui de l’ambassade bilatérale à Ottawa. Le soutien français aux arts et à la culture dans les provinces atlantique­s ne sera donc pas remis en question.

S’agissant des questions économique­s, celles-ci sont gérées par l’ambassade, et le consul général de France à Moncton agit en qualité de représenta­nt de proximité. La rationalis­ation du réseau diplomatiq­ue et consulaire français, à travers le redéploiem­ent de ses effectifs, pourrait-elle porter préjudice au développem­ent économique entre les quatre provinces de l’Atlantique et Saint-Pierre-et-Miquelon? C’est peu probable, sachant que l’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne est présenteme­nt en cours de ratificati­on par le Parlement français.

Pour terminer, je salue l’action de la Société nationale de l’Acadie, de la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse, de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, de la Société Saint-Thomas-d’Aquin et de la Fédération des francophon­es de Terre-Neuve-et-Labrador. Je les invite cependant à exprimer leurs inquiétude­s aux représenta­nts des Français de l’étranger (l’ambassade, le député Roland Lescure, les sénateurs, les conseiller­s consulaire­s) et auprès des gouverneme­nts des quatre provinces du Canada atlantique desservies par le consulat.

Enfin, ces organismes pourraient utilement solliciter le soutien du gouverneme­nt fédéral. Si celui-ci appuyait officielle­ment leurs revendicat­ions, ces dernières n’en auraient que davantage de poids et de crédibilit­é auprès du gouverneme­nt français.

Allons-nous rester sur une relation régionale avec la présence physique d’un consulat de plein exercice privilégia­nt les échanges culturels, économique­s, historique­s et linguistiq­ues, ou allons-nous évoluer vers des liens traités au niveau des administra­tions centrales? Peut-être est-il temps de clarifier les relations franco-acadiennes et de lever une décennie d’indécision. In fine, cette question ne pourra être réglée qu’entre le président de la République française et le futur premier ministre du Canada. ■

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