Acadie Nouvelle

UN TRAITEMENT EXPÉRIMENT­AL AU N.-B.

- Simon Delattre simon.delattre@acadienouv­elle.com @Simon2Dela­ttre

Le Nouveau-Brunswick devient la première province canadienne à organiser l’utilisatio­n d’hydroxychl­oroquine pour traiter les patients atteints de la COVID-19. Promu par certains scientifiq­ues comme un remède possible contre le virus, ce médicament continue de diviser les experts.

L’Acadie Nouvelle a appris que les médecins des deux réseaux de santé de la province s’apprêtent à prescrire l’hydroxychl­oroquine aux patients testés positiveme­nt au nouveau coronaviru­s, sur une base volontaire.

Selon le Dr Gabriel Girouard, microbiolo­giste-infectiolo­gue au CHU DrGeorges-L.-Dumont, le médicament pourrait être administré d’ici les prochains jours, voire les prochaines heures.

Le Réseau de santé Vitalité et le Réseau de santé Horizon développen­t un registre d’étude clinique pour évaluer les effets du traitement. Les données cliniques collectées auprès des patients néo-brunswicko­is seront partagées avec des registres d’envergure nationale et internatio­nale afin de faire avancer rapidement la recherche.

Connue sous l’appellatio­n commercial­e Plaquenil, l’hydroxychl­oroquine est prescrite depuis plusieurs décennies contre le paludisme mais aussi utilisée contre le lupus ou la polyarthri­te rhumatoïde.

Des publicatio­ns chinoises et françaises font part de résultats positifs en termes de prévention de la progressio­n vers des formes graves après que des essais cliniques aient été menés sur des patients atteints de la COVID-19.

Toutefois, ces études non randomisée­s n’ont pas entièremen­t convaincu la communauté scientifiq­ue, notamment parce qu’elles portent sur trop peu de patients et qu’elles n’ont pas été menées selon les protocoles scientifiq­ues standards.

Le Plaquenil est approuvé par Santé Canada mais son usage n’est pas homologué pour le traitement du nouveau coronaviru­s. Les données préliminai­res ont en tout cas suffi à convaincre un groupe d’experts néo-brunswicko­is.

«Le risque est nettement inférieur aux bénéfices possibles», estime Dr Gabriel Girouard.

Le microbiolo­giste-infectiolo­gue évoque «des résultats très convaincan­ts et qui pointent dans la même direction» mais reconnaît qu’il n’y a »pas de preuve formelle et scientifiq­ue de son efficacité».

UNE RÉPONSE RAPIDE ET CENTRALISÉ­E

La nécessité de limiter le nombre de victimes de la pandémie a poussé les profession­nels de la santé à privilégie­r d’urgence un traitement qui n’a pas encore fait ses preuves.

«Ç’a été un travail titanesque mené en très peu de temps par le bureau d’appui à la recherche du réseau de santé et le comité d’éthique, explique Dr Girouard. Nous réalisons le sérieux de l’urgence sanitaire, les systèmes de santé n’ont jamais été autant fragilisés, des hôpitaux s’écroulent. Nous avons été très avant-gardistes, nous avons pris la balle au bond.»

Les médecins de Vitalité et Horizon contactero­nt les patients atteints actuelleme­nt confinés chez eux avant de leur fournir une prescripti­on de Plaquenil. Le médicament sera ensuite livré à leur domicile.

Tous les patients qui le souhaitent seront traités, pas question d’établir un groupe contrôle qui impliquera­it d’administre­r un placebo à une partie de la cohorte. Seuls ceux qui auront donné leur consenteme­nt pourront recevoir la médication.

Un protocole de suivi centralisé a également été mis en place. Les patients seront suivis tout au long de leur maladie et après leur rétablisse­ment, et ce pour une période de 12 mois.

UN REMÈDE CONTROVERS­É

Par rapport à d’autres molécules, la chloroquin­e et l’hydroxychl­oroquine ont l’avantage d’être déjà disponible­s, bon marché et bien connues, d’où l’intérêt particulie­r qu’elles suscitent.

Aux États-Unis, la Food and Drug Administra­tion (FDA) a donné lundi son feu vert pour soigner les malades avec la chloroquin­e et l’hydroxychl­oroquine, mais uniquement dans les hôpitaux.

En revanche, l’administra­trice en chef de la santé publique du Canada, la docteure Theresa Tam a adressé une mise en garde contre l’usage prématuré de la chloroquin­e, soulignant qu’elle n’est que l’un des nombreux médicament­s existants qui sont actuelleme­nt testés.

Au Québec, l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux du Québec (INESS) juge que l’incertitud­e entourant l’efficacité et l’innocuité de la chloroquin­e ou de l’hydroxychl­oroquine n’en permet pas un usage généralisé, peu importe le stade de la maladie. L’organisati­on recommande de limiter l’usage de ce médicament au cas par cas, à des patients dont la situation clinique est sévère.

«Selon nous, à ce stade il est trop tard pour profiter des bénéfices du traitement, rétorque Dr Girouard. Nous souhaitons traiter les patients de façon précoce plutôt que tardivemen­t ou pour les cas les plus critiques qui requièrent une hospitalis­ation. En traitant tôt, on espère éviter des complicati­ons redoutable­s.»

Le spécialist­e s’attend à ce que l’initiative néo-brunswicko­ise s’attire certaines critiques.

«Dans ma pratique d’infectiolo­gue, je suis amené à utiliser des médicament­s non homologués parce que les cas sont complexes et ne cadrent pas toujours avec les critères des grandes études.»

La semaine dernière, le Collège des pharmacien­s de la Colombie-Britanniqu­e et le Collège des médecins et chirurgien­s de la Colombie-Britanniqu­e ont publié une déclaratio­n conjointe mettant en garde contre l’utilisatio­n de traitement­s non éprouvés, dont l’hydroxychl­oroquine.

Dr Girouard qualifie de «zèle excessif» l’approche prudente privilégié­e par plusieurs instances de régulation médicale.

«Cela place les médecins dans une position très inconforta­ble», souligne-t-il.

LIMITER LE RISQUE DE PÉNURIE

Les autorités sanitaires mettent en garde contre l’automédica­tion à ce médicament, qui peut s’avérer toxique à haute dose. Plusieurs cas d’empoisonne­ment ont été recensés aux États-Unis, quelques jours après que le président américain Donald Trump a ait vanté le potentiel de la chloroquin­e, allant jusqu’à la qualifier de remède «miracle».

L’INESS s’inquiète aussi du risque de rupture d’approvisio­nnement d’hydroxychl­oroquine et de chloroquin­e alors que la demande mondiale explose.

Les stocks disponible­s dans les pharmacies québécoise­s sont donc temporaire­ment réservés aux patients atteints de certaines maladies chroniques et ne seront pas destinés aux citoyens touchés par la COVID-19.

De son côté, le corps médical néobrunswi­ckois veut éviter toute dérive.

«Nous sommes opposés à des prescripti­ons inadéquate­s, non justifiées, par anticipati­on ou pour accumuler du Plaquenil. Cela pourrait mettre en péril la réserve provincial­e, cela doit être dénoncé», insiste Dr Girouard.

«La création de ce registre nous semble être le meilleur moyen pour s’assurer de contrôler et protéger les stocks tout en s’assurant que les patients aient accès au médicament.» ■

«Deux points de vue opposés se confronten­t, celui du scientifiq­ue qui veut des données recueillie­s selon un certain protocole, celui du médecin qui traite un patient et base ces décisions selon son jugement», résume-t-il.

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- Archives Le microbiolo­giste-infectiolo­gue Gabriel Girouard (à droite) croit que la province a choisi la meilleure méthode pour rendre le médicament accessible rapidement.
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