Acadie Nouvelle

LE PROFESSEUR RAOULT A-T-IL TROUVÉ LE REMÈDE?

- ROROMME CHANTAL

Le magazine français Paris Match réserve généraleme­nt ses couverture­s sur papier glacé à d’immortels rock-stars, acteurs de cinéma et héritiers royaux. Ainsi, lorsque la semaine dernière, il a présenté en Une un autre type de célébrité, son choix peu orthodoxe lui a immédiatem­ent attiré une curiosité mondiale, y compris celle de prestigieu­ses publicatio­ns comme le quotidien économique et financier britanniqu­e Financial Times. Cette célébrité singulière répond au nom de Didier Raoult. Cheveux longs, iconoclast­e, ce virologue français âgé de 68 ans est basé à Marseille. Il est l’un des premiers médecins occidentau­x à avoir préconisé la chloroquin­e, médicament prescrit habituelle­ment contre le paludisme, comme remède potentiel pour le coronaviru­s qui ravage le monde.

Fin février, le Dr. Raoult publie une vidéo YouTube décrivant comment les médecins chinois ont eu du succès à traiter des patients atteints de la COVID-19. Il y prédit du même coup la fin (endgame) du coronaviru­s. Chercheur multidécor­é pour ses brillantes recherches, cette vidéo lui procurera désormais une renommée en dehors de son domaine.

Il dirige l’Institut hospitalo-universita­ire Méditerran­ée Infection de Marseille. Dans une autre vidéo récente, le Dr Raoult a déclaré que son centre avait testé environ 50 000 personnes, trouvé 2400 infections et traité environ 1000 personnes avec une combinaiso­n d’hydroxy-chloroquin­e et d’azithromyc­ine.

Il indique que le traitement fonctionne mieux lorsque les gens ont reçu l’antiviral relativeme­nt tôt, ce qui signifie avant qu’ils aient besoin de soutien en oxygène. Obtenus toutefois à partir d’études relativeme­nt restreinte­s, cellesci ont été jugées insuffisan­tes et les résultats auxquels elles ont mené seraient non concluants.

Rien de tout cela ne semble pourtant avoir de l’importance pour les nouveaux fans du Dr. Raoult. Ils le voient, certes, comme excentriqu­e mais brillant.

«Didier Raoult est le seul chercheur au monde qui a une avance pour nous sauver», déclare en son honneur un groupe Facebook cité par Financial Times, qui a réussi à mobiliser près de 400 000 personnes.

La frénésie alimentée par le Dr. Raoult a aussi eu de sérieuses répercussi­ons mondiales. Des médecins du monde entier utilisent déjà la chloroquin­e pour traiter les patients atteints de la COVID-19, ce qu’ils peuvent faire en la prescrivan­t «hors étiquette » ou en dehors de ses utilisatio­ns approuvées pour le paludisme ou l’arthrite. Pour éviter les pénuries, les fabricants de médicament­s génériques augmentent leur production. Pendant ce temps à Marseille, en France, des centaines de personnes font la queue devant la clinique du Dr. Raoult pour être testées et traitées à la chloroquin­e.

Aux États-Unis, le message du Dr Raoult sur la chloroquin­e a été amplifié sur Twitter par le milliardai­re Elon Musk, relayé par des experts sur Fox News. Il a aussi mené le président Donald Trump à tweeter que la drogue avait une «vraie chance d’être l’un des plus grands changement­s (game changer) dans l’histoire de médecine».

Plus prudent, le succès du Dr. Raoult a incité Anthony Fauci, le réputé conseiller de Trump sur la pandémie, à mettre en garde contre ce qu’il appelle des «preuves anecdotiqu­es». Sauf que le Dr Raoult n’en démord pas. Il a encore alimenté la frénésie en rendant publiques ses conclusion­s sans attendre la sanction des revues évaluées par ses pairs.

Il dit défendre cette approche conforméme­nt à l’esprit du serment d’Hippocrate prêté par les médecins, en particulie­r dans une crise sanitaire qui évolue rapidement où les gens meurent.

«Un médecin peut et doit penser comme un médecin, et non comme quelqu’un obsédé par la méthodolog­ie», écrit-il dans un article d’opinion dans Le Monde.

Les scientifiq­ues en Europe et dans le monde étudient actuelleme­nt le protocole dans des essais plus importants et contrôlés. Un de ces essais accueille actuelleme­nt 1300 patients à haut risque dans 36 hôpitaux français. Les chercheurs travaillen­t à «mettre fin à la controvers­e» dans les prochaines semaines.

Un autre essai d’environ 3200 patients dans huit pays européens comparera les résultats des soins hospitalie­rs standard pour la COVID-19 à quatre traitement­s expériment­aux. S’ils prouvaient que le Dr Raoult avait raison, qui pourrait dès lors lui enlever le titre du sauveur du monde contre la COVID-19?

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- Photo tirée de Facebook Le professeur Didier Raoult, dans son bureau, à Marseille. Le médecin prétend qu’un médicament appelé la chloroquin­e permet de guérir la maladie associée à la COVID-19.
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