EN ATTENDANT LE VACCIN
La communauté scientifique mondiale tente d’élaborer le plus vite possible un vaccin contre la COVID-19. Le premier ministre Justin Trudeau a prévenu que les Canadiens ne pourraient pas retrouver une vie normale avant que les chercheurs aient réussi.
Les experts ont déjà démarré le développement d’une centaine de vaccins potentiels à travers le monde, dont une dizaine au Canada. Ils effectuent aussi des tests sur des humains avec une poignée d’entre eux.
«C’est exceptionnel et renversant, s’exclame le professeur au département de médecine de l’Université de Montréal, Réjean Lapointe. C’est compliqué, la recherche scientifique en général!»
Les autorités chinoises ont identifié le virus SARS-CoV-2, responsable de la COVID-19, au début de janvier seulement. M. Lapointe estime que les chercheurs ont donc pris un an et demi d’avance par rapport au processus normal d’élaboration d’un vaccin.
«On a pris des raccourcis pour y arriver, c’est clair», juge-t-il.
Les agences réglementaires, comme Santé Canada, autorisent en effet l’accélération des procédures.
Interrogé par RFI, le directeur du laboratoire d’innovation vaccinale de l’Institut Pasteur à Paris, Frédéric Tangy a déclaré par exemple qu’il menait de front deux étapes cliniques normalement successives.
M. Lapointe indique par ailleurs que les chercheurs collaborent de façon extraordinaire par le biais de consortiums montés parfois en quelques jours.
«D’habitude, ça prend des mois, car il faut du temps avant que la confiance s’établisse», précise-t-il.
La communauté scientifique accepte également désormais la révélation de découvertes sans relecture par les pairs. L’OMS a de plus établi un schéma directeur de recherche et développement.
«Nous essayons de faire en sorte d’éviter que des groupes travaillent à la même chose en silos», explique M. Lapointe.
ATTENDRE 2021
«Nous n’aurons pas de vaccin avant 2021, affirme-t-il néanmoins. Même une prévision de 18 mois pour toutes les phases de tests est optimiste.»
Le professeur a indiqué que la mise sur le marché d’un vaccin prenait d’habitude 10 ans dans un cours récent.
«Il y a des centaines de décisions à prendre, puis il faut vérifier que c’est sécuritaire et efficace», détaille-t-il.
Un vaccin contre un virus contient soit une forme morte ou atténuée de l’agent pathogène, soit des morceaux de celui-ci reconnaissables par le corps du patient.
«Le produit sert à faire croire au système immunitaire qu’il se trouve en présence d’une infection grave afin de l’amener à préparer sa réponse grâce à des anticorps», expose M. Lapointe.
Les scientifiques en vérifient d’abord l’innocuité grâce à des tests sur des animaux qui réagissent au virus d’une façon comparable aux humains.
«C’est parfois difficile de trouver un modèle animal, raconte M. Lapointe. Le furet est le meilleur pour l’influenza, mais la littérature scientifique est très difficile à interpréter pour l’instant au sujet de la COVID-19.»
TESTER L’INNOCUITÉ ET L’EFFICACITÉ
Les chercheurs effectuent ensuite une série de trois tests successifs sur des personnes volontaires et en bonne santé. Ils examinent en premier lieu la réponse à leur vaccin d’un groupe de 50 individus environ.
«Habituellement, ça prend au moins un an!», souligne M. Lapointe.
Les scientifiques observent ensuite les effets négatifs et positifs de leur produit sur une centaine de patients, puis sur plus de mille.
«On peut essayer de combiner les phases 2 et 3 et cibler des populations plus à risque comme les professionnels de santé et les militaires, réfléchit M. Lapointe. Des Canadiens ont fait ça contre le virus Ebola.» Le professeur continue toutefois de prévoir
la découverte d’un vaccin contre la COVID-19 dans 12 à 18 mois au minimum.
En attendant la réponse, il espère la découverte d’un médicament permettant de réduire l’inflammation provoquée par la COVID-19.
«Ça nous permettrait de sauver des vies et d’avoir un répit», lâche-t-il.
PRÉVOIR UN DÉCONFINEMENT PROGRESSIF
S’il remarque un mouvement général en faveur d’une réouverture de l’économie des zones où la pandémie est maîtrisée, Réjean Lapointe souligne que le Québec a par exemple connu un nombre trop faible de cas de COVID-19 (22 000 pour l’instant) pour bénéficier d’une immunité de masse et se trouver à l’abri d’une autre crise sanitaire. Seulement de 1% à 6% des 8 millions de Québécois seraient immunisés contre le nouveau coronavirus.
«Est-ce qu’il faut redémarrer les activités? C’est une décision politique, mais on peut le faire seulement de façon progressive, avec un suivi de la transmission du virus, plaide M. Lapointe. Il faudra avoir des outils pour tester le plus de gens possible et peut-être s’isoler à nouveau si ça devient trop chaud.» ■
«Il y a des risques que les produits testés ne fonctionnent pas, rappelle-t-il en outre. Sera-ton de plus capable d’en administrer un à plusieurs milliards de personnes en quelques mois?»