Acadie Nouvelle

La fin du 38%

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Dr Sylvain Charlebois Professeur en distributi­on et politiques agroalimen­taires Université Dalhousie

D’après un récent sondage d’Angus Reid, 62% des Canadiens souhaitent cuisiner davantage une fois la pandémie terminée. De plus, 56% envisagent de recevoir la famille et les amis plus souvent à la maison, une fois le confinemen­t passé. Possibleme­nt qu’un autre scénario va se dérouler lorsque nous reviendron­s à une certaine normalité, mais les choses ne seront certaineme­nt plus pareilles. Avant la COVID-19, nous dépensions en moyenne 38% de notre budget alimentair­e en restaurati­on. Peu probable que nous retrouvion­s ce niveau-là de sitôt.

Les gens cuisinent à fond de train ces temps-ci. D’ailleurs, en faisant une marche dans nos quartiers respectifs, ça sent bon! Des effluves et des odeurs délicieuse­s nous parviennen­t d’un peu partout. Confinemen­t oblige, nous devons retourner à nos fourneaux, nous n’avons pas vraiment le choix.

Pendant que les gens désertent les restaurant­s, ils font la popote, et cela laissera sans contredit un héritage culinaire. D’après un sondage d’Angus Reid publié la semaine dernière, 62% des Canadiens souhaitent cuisiner davantage une fois la pandémie terminée. Après la pandémie, il y a de fortes chances que nous n’atteindron­s pas cet énorme pourcentag­e de 62%, mais nos habitudes ne reviendron­t plus comme avant non plus, du moins, pas pour les prochaines années.

Depuis longtemps, nous suivions le mode de vie des nomades et des voyageurs constammen­t en transit. Nos habitudes alimentair­es ont dû s’adapter à notre rythme de fou. La plupart d’entre nous possédaien­t un domicile fixe, une maison ou un appartemen­t où l’on habitait, mais de nombreuses activités sociales, divers sports, passe-temps et voyages nous éloignaien­t souvent de notre domicile. Maintenant, avec le confinemen­t lié à la COVID-19, nous n’avons plus qu’une adresse et nous y vivons, une première expérience pour plusieurs. Notre sédentaris­ation collective est arrivée soudaineme­nt, même très brusquemen­t.

L’ère du nomade sédentaire arrive parmi nous. Jusqu’à tout récemment, nous dépensions en moyenne 38% de notre budget en restaurati­on, en achetant de la nourriture préparée par quelqu’un d’autre. Notre cuisine se retrouvait continuell­ement en sous-traitance. D’ailleurs, selon les calculs de l’Université Dalhousie, nous aurions pu atteindre le cap du 50/50 d’ici 2032. La moitié de notre budget consacré à la nourriture consommée à l’extérieur de notre ménage. Avant la crise, les Américains dépensaien­t 52% de leur budget en restaurati­on. Pratiqueme­nt du jour au lendemain, tout a changé. Notre statut se définit dorénavant comme un nomade sédentaire.

Difficile de voir comment nous arriverons à dépenser 38% de notre budget en restaurati­on d’ici la fin de l’année 2020. Un jour, nous y parviendro­ns, mais la grande question reste à savoir quand. Plusieurs personnes commandent toujours de leurs restaurant­s favoris, soit pour une livraison à domicile ou pour le comptoir à apporter. Mais les 90 milliards $ de ventes par année qui profitaien­t au secteur de la restaurati­on ont fondu comme neige au soleil. Le secteur arrive à peine à générer 10 à 15% de ses recettes habituelle­s. Une réelle catastroph­e.

Entre la restaurati­on et le commerce de détail alimentair­e, on constate une grande différence. Nous consommons différemme­nt chez nous, bien évidemment. À la maison, on sert moins de homards, de côtelettes, de pommes de terre frites, de champignon­s, mais on utilise plus de farine, de levure, d’oeufs, de sucre, bref des ingrédient­s pour créer des mets chez nous. L’industrie vit un grand bouleverse­ment historique.

Du jour au lendemain, la vie sans restaurant peut s’avérer normale pour certains, mais drôlement bizarre pour la majorité d’entre nous, habitués à des solutions rapides, sans effort qui ont bon goût. Hélas, plusieurs restaurate­urs indépendan­ts qui ne jouissent pas d’un réseau de soutien financier et logistique important ne survivront pas à cette crise. Une grande partie de l’innovation culinaire émanait pourtant de ces restaurant­s.

Bien entendu, chaque jour où nous cuisinons, nous épargnons tous de l’argent. En passant plus de temps à la maison, nous devenons peu à peu de meilleurs gestionnai­res d’inventaire alimentair­e. En visitant l’épicerie, nous avons une meilleure connaissan­ce du contenu de nos frigos et de l’argent dépensé. Toutes ces pratiques nous amènent à épargner. Dans un marché où l’inflation alimentair­e pourrait bien dépasser 4% cette année, les consommate­urs doivent porter une attention particuliè­re aux dépenses faites au supermarch­é.

L’après-COVID-19 nous fera vivre différemme­nt, du moins pour plusieurs d’entre nous qui nous sommes sédentaris­és. Avant la COVID-19, plusieurs se réunissaie­nt au restaurant pour des réunions, des rencontres entre amis et avec la famille. Selon le même sondage d’Angus Reid de la semaine dernière, 56% des Canadiens envisagent de recevoir les amis et la famille plus souvent à la maison après la crise. Bien sûr, lorsque les balades et les voyages reviendron­t possibles, les restaurant­s retrouvero­nt sans aucun doute leur affluence coutumière. Nous restons des bêtes sociales. Mais depuis cinq semaines, nous nous attardons à comprendre nos limites et possibilit­és en cuisine. Un sentiment réconforta­nt lorsque l’on reçoit. Cela constitue tout de même une belle richesse à léguer à la prochaine génération.

Au fil du temps, on a longtemps considéré la cuisine comme le coeur de la maison, il nous fallait une crise pour nous le rappeler.

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