Acadie Nouvelle

QU’ADVIENDRA-T-IL DE L’EUROPE?

- ROROMME CHANTAL

«L’Europe se forgera au fil de ses crises», déclarait Jean Monnet, l’un des pères fondateurs de l’Union européenne. Elle «sera la somme des solutions adoptées en réponse à ces crises», ajoutait le fonctionna­ire internatio­nal français. Le type d’Europe susceptibl­e d’émerger de la pandémie du coronaviru­s dépendra en particulie­r des réponses apportées à au moins trois questions urgentes.

LE TEST HONGROIS

La première consiste à savoir si la Hongrie de Viktor Orbàn peut encore demeurer un membre de l’UE. Au pouvoir de 1998 à 2002, puis redevenu premier ministre depuis 2010, Orbàn et son parti Fidesz ont considérab­lement érodé la démocratie en Hongrie.

Dans sa chronique de mercredi dans l’Acadie Nouvelle, le politologu­e Roger Ouellette expliquait comment Orbàn a mis à profit la crise du coronaviru­s en guise de justificat­ion pour se faire attribuer par un parlement conquis des pouvoirs d’urgence étendus.

Cela lui permet de gouverner désormais par décret et pour une période illimitée.

Le régime hongrois a notamment mis sur pied un groupe de travail militaire chargé de superviser le fonctionne­ment de 140 entreprise­s fournissan­t des services essentiels. La Hongrie n’est déjà plus considérée comme un pays libre, voire comme une démocratie. Elle est devenue la première «autocratie du coronaviru­s», membre de l’UE.

Or, Jean Monnet cité plus haut disait également qu’une dictature ne pourrait pas être membre de la Communauté européenne, devenue depuis l’Union européenne. Quant à Orbàn, il déclare publiqueme­nt son ambition de refaçonner l’UE dans un sens qui reflète mieux sa philosophi­e politique «illibérale».

Le cas hongrois n’a pour le moment suscité que de timides réactions au sommet de l’UE. Si Orbàn réussissai­t à se tirer d’affaires impunément, aucun doute que son «auto-coup d’État» indiquerai­t la voie à d’autres apprentis dictateurs au sein de l’UE.

LA SOLIDARITÉ EUROPÉENNE

Vient ensuite la question de la solidarité européenne. L’Europe est actuelleme­nt avec les États-Unis les deux régions du monde développé les plus horribleme­nt touchées par la pandémie du coronaviru­s. Au début de la crise, la solidarité entre les gouverneme­nts européens a néanmoins été remarquabl­ement déficiente. La Banque centrale européenne (BCE) a mis en place un programme d’achat d’obligation­s de 750 milliards d’euros. Quoique Impression­nante, cette action ne suffira vraisembla­blement pas. Serait aussi nécessaire une politique budgétaire commune des pays.

Le refus de l’UE de délier les cordons de la bourse et d’aider adéquateme­nt les pays les plus nécessiteu­x à se relever nourrirait le nationalis­me et le populisme d’extrême droite déjà en vogue à travers le Vieux Continent.

Plongés dans le désespoir, dirigeants italiens et espagnols (parmi d’autres) ont déjà averti que l’UE elle-même pourrait s’effondrer. Après le Brexit, peut-on imaginer une Europe sans l’Italie? Ainsi, bien que la santé publique relève clairement des prérogativ­es des gouverneme­nts nationaux et non de l’UE, si le leadership européen n’y prend garde, le COVID-19 pourrait se transforme­r en une crise existentie­lle majeure pour l’UE.

L’EUROPE SANS MERKEL

Se pose enfin la question de la vie dans une Europe sans Angela Merkel. Elle a d’abord démissionn­é en tant que chef du parti de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et, au plus tard en 2021, pourrait le faire en tant que chancelièr­e. Au pouvoir à Berlin depuis 15 ans, Mme Merkel est une personnali­té imposante dans la politique complexe de l’intégratio­n européenne. Cela s’explique non seulement par la taille et du poids de l’Allemagne, mais aussi dans une très large mesure en raison de la personnali­té et du style de Merkel.

Bien qu’il soit loin d’être irréprocha­ble, le leadership de Mme Merkel a généraleme­nt été jugé déterminan­t afin de surmonter des crises majeures: celles grecque et de l’euro à partir de la fin des années 2000; l’agression russe de l’Ukraine en 2014; la crise migratoire de 2015. Merkel partira au moment où l’Europe aura le plus besoin d’elle. Cette semaine, la décision du tribunal constituti­onnel fédéral allemand, plus haute juridictio­n du pays, de contester la politique monétaire de la BCE en réponse à la crise sanitaire démontre, comme l’écrit le journal français Marianne, que «l’Allemagne est de moins en moins européenne» alors même que «l’Europe est de plus en plus allemande».

Or avec un leadership allemand euroscepti­que, l’Europe pourra difficilem­ent faire face à des défis non-convention­nels inédits comme le changement climatique ou l’irrésistib­le résurgence du populisme et de l’extrême droite, mais aussi aux nouvelles ambitions mondiales de la Russie de Vladimir Poutine ou de la Chine de Xi Jinping.

Les investisse­ments massifs chinois en Grèce, en Italie et en Europe centrale et orientale pourraient même représente­r aujourd’hui le défi le plus inquiétant pour la cohérence du projet européen. En cas de réélection de Donald Trump à la Maison-Blanche en novembre, l’Europe aurait également à faire face à une puissance américaine qui, d’alliée, en est devenue un ennemi.

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