LE DERNIER LABOUREUR DE CAP-PELÉ
Au bord de la route 15, les curieux s’arrêtent pour contempler un spectacle sorti tout droit d’une époque révolue, lorsque les hommes et les chevaux travaillaient ensemble à faire fructifier la terre.
Malgré ses 74 ans, Norbert Bourque marche derrière son attelage d’un pas assuré. L’homme de Cap-Pelé est venu rendre service à une résidente de la région, qui nourrit le projet de créer un jardin dont les récoltes iront aux plus démunis.
Les pièces métalliques du harnais reflètent la lumière du matin et le bruit des chaînes contraste avec la tranquillité du voisinage.
Candy et Sky tirent derrière elles une charrue à disques rouge vif. Les deux juments de race Percheron impressionnent par leur puissance et leur sang froid. Noire à la naissance, leur robe est aujourd’hui grise et parsemée de taches blanches.
«Elles pèsent entre 1800 et 1900 livres, décrit Norbert. Aujourd’hui, ce sont elles les vedettes!»
Celui qui a grandi dans une ferme de Cap-Pelé s’est toujours passionné pour les chevaux de trait.
Les labours du printemps étaient un moment de fête dans le village, une occasion de se réunir autour d’une activité. Les années ont passé et la pratique a disparu.
Norbert Bourque, lui, reste nostalgique de cette époque. «C’est comme une maladie qui ne te lâche pas», lance l’aîné.
Attaché à la sauvegarde du patrimoine et des traditions, il se plaît à recourir à la traction animale pour de la culture à petite échelle, mais aussi pour des balades en calèche ou en traineau. Cela fait une trentaine d’années qu’il prend soin de ses attelages.
Le travail est pourtant fastidieux. Il a d’abord eu recours à une première charrue munie d’un soc qui vient découper et retourner des bandes de terres, il devra ensuite se servir d’une herse pour préparer le lit de semences en brisant les mottes créées lors du labour du champ.
«Il faut compter une journée de travail pour un acre de terre», explique-t-il.
La conduite de l’attelage exige de la précision et de l’expérience. Norbert passe jusqu’à deux heures par jour auprès de ses deux protégées pour les soigner, les brosser, les nourrir et installer avec elles une relation de confiance.
«Tu dois les habituer à rester dans son sillon, sinon tu iras tout croche! Il faut que tu leur parles beaucoup si tu veux qu’ils deviennent amis avec toi… Il faut aussi les entraîner à tirer, le labour c’est dur pour eux-autres.»
L’amoureux des bêtes participe autant qu’il le peut aux compétitions de chevaux de trait dans les Maritimes. Il en profite pour transmettre son savoir aux plus jeunes propriétaires.
En réalité, la fragilisation de l’agriculture paysanne dans la province le préoccupe. «On voit trop peu de jardins astheure et les fermiers n’y arrivent plus. Moi je trouve ça dangereux!» ■
«Tous les foyers avaient des chevaux, c’était essentiel pour se nourrir! Je suivais mon grand-père, mais il ne voulait jamais me laisser prendre les rênes», raconte-t-il.