Acadie Nouvelle

RAILS, BIÈRE ET POÉSIE

- simon.delattre@acadienouv­elle.com @Simon2Dela­ttre

NDLR: Le tourisme sera local cet été. Notre journalist­e Simon Delattre vous propose donc d’embarquer dans un périple à travers la province. Il amène avec lui sa curiosité, son goût pour les rencontres et une envie de découvrir les trésors méconnus du Nouveau-Brunswick. Un nouveau jour, une nouvelle destinatio­n. Aujourd’hui, je m’invite chez les Brayons.

Peu après avoir dépassé Plaster Rock, la vue d’un impression­nant pont ferroviair­e attire ma curiosité. Je quitte la route 108 pour m’arrêter aux pieds de l’interminab­le structure métallique, symbole de l’histoire glorieuse du chemin de fer dans le Nord-Ouest.

Érigé en 1910, le pont 149 du CN surplombe la rivière aux saumons de New Denmark. Haut de 210 pieds (64 mètres), il s’étend sur 3920 pieds (1195 mètres), ce qui en fait le plus long de sa catégorie dans l’est du pays.

La vue valait le détour! En continuant ma route vers le nord, les forêts disparaiss­ent pour laisser place à d’immenses champs de patates. À Drummond commence le Madawaska.

À l’entrée d’Edmundston, le casino Grey Rock me rappelle la grande réussite économique de la Première Nation malécite du Madawaska.

Les salles de jeu sont fermées depuis plusieurs mois, je ne pourrai pas y dilapider mon salaire de journalist­e. Le ciel est menaçant ce matin, je choisis donc de me réfugier chez les Brasseurs du Petit-Sault.

Avec son restaurant, sa boutique et sa salle de dégustatio­n, la micro-brasserie s’est imposée comme une attraction phare de la région. Au sous-sol, Patrick Dionne et Michael Dubé s’affairent entre les cuves en inox.

Les deux brasseurs ajoutent de grandes quantités de purée de fraise et de pêche à leur brassée du moment: l’IPA Brut #3. La fermentati­on tire à sa fin et l’ajout d’enzymes permettra de faire baisser le niveau de sucre à zéro. Chaque action implique une étape de désinfecti­on.

«Nous n’avions pas d’expérience au début, nous avons appris sur le tas», lance Michael Dubé, tombé en amour avec ce métier il y a trois ans et demi.

«C’est un travail unique, nous sommes des artisans. On fabrique quelque chose à partir de rien.»

«Il y a un côté artistique à créer des recettes», renchérit son compère, qui estime avoir à son actif près de 400 brassées.

Les deux amateurs de houblon se réjouissen­t d’avoir pu faire prospérer la culture de la bière artisanale dans leur coin de pays.

«On n’a jamais autant vendu que depuis l’ouverture du Centre Jean-Daigle où on sert la Snap Dickie, souligne Michael. On voit qu’on a ouvert les goûts et les esprits.»

INTERMÈDE POÉTIQUE

Je laisse les deux employés à leur ouvrage pour aller engloutir une poutine dégoulinan­te à l’étage supérieur. Installés à la table voisine, deux amateurs de poésie sont engagés dans la relecture passionnée d’un recueil en constructi­on.

Félix Perkins, un jeune homme âgé de 18 ans, donne les dernières touches à son manuscrit Boiteur des bois, dont la publicatio­n est prévue à l’automne. Sébastien Bérubé, auteur aux Éditions Perce-Neige, le guide, l’épaule tout au long de ce processus créatif. Chaque vers fait l’objet de retours francs suivis d’échanges passionnés.

«Je joue le rôle de mentor, explique Sébastien. J’essaie d’amener l’auteur à se questionne­r sur son écriture pour se rendre plus loin.»

Félix Perkins se fie à son instinct et saisit l’inspiratio­n quand elle vient pour pondre des textes imagés à toute heure du jour ou de la nuit.

L’auteur émergent promet un recueil très intime, «mélange de quête et d’affirmatio­n».

«Je me lance dans le vide. C’est une autopsie, je m’ouvre complèteme­nt», déclare-t-il sans la moindre hésitation.

Je clos la conversati­on, bluffé devant tant d’assurance. Les poètes de 18 ans, ça ne court pas les rues.

L’HISTOIRE DU CHEMIN DE FER

Dehors, il mouille à grosses gouttes. J’improvise alors une sortie au musée Du Réel au Miniature, dédié au maquettism­e et à l’histoire du rail. Le guide Joel Ruest est quelque peu surpris de me voir débarquer. «Tu es le premier visiteur de la saison!»

En une heure, je découvre la vie des cheminots de la fin du XIXe siècle. Me voilà plongé dans une époque où l’on déblayait les aiguillage­s à la pelle et faisait cuire sa nourriture directemen­t au-dessus du foyer de la locomotive à vapeur.

Plaque tournante du commerce de bois, la ville d’Edmundston était traversée par les voies du Canadien Pacifique, du Canadien National et du Temiscouat­a Railway. Non loin de là, la gare de Saint-Léonard voyait passer le chemin de fer du Bangor and Aroostook Railroad.

«Tout le monde dans la région, de près ou de loin, a une histoire avec le chemin de fer. Tout le monde ici a un oncle ou un grand-père qui a travaillé pour le rail. C’était essentiel à notre développem­ent économique», commente Guy

Laforge, propriétai­re du petit musée.

Ce mordu de maquettism­e a installé dans son sous-sol un circuit ferroviair­e miniature à l’image du Nouveau-Brunswick. Sa collection se compose de 350 wagons. Aucun détail n’est laissé au hasard, il va jusqu’à reproduire les traces de rouilles sur la paroi des locomotive­s.

«L’hiver je peux passer 50 à 70 heures par semaine sur mes maquettes», confie-t-il.

Nostalgiqu­e de la grande époque du rail, Guy Laforge reste convaincu que le train reste un mode de transport de marchandis­es d’avenir, car «plus écologique et capable de déplacer d’immenses quantités de biens».

Pourtant, la gare du 194 rue Saint-François à Edmundston est désormais désertée. Les trains se font plus rares dans la région et les voyageurs ne s’y arrêtent plus. Aujourd’hui, seules les papetières et les usines McCain recrachent leurs nuages de fumée dans le ciel brayon. ■

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- Acadie Nouvelle: Simon Delattre Guy Laforge a dédié une partie de sa vie à la réalisatio­n de maquettes.
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Acadie Nouvelle: Simon Delattre Patrick Dionne et Michael Dubé ont perfection­né leur art du brassage au fil des années.
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- Acadie Nouvelle: Simon Delattre Le pont ferroviair­e de New Denmark est le second plus long au pays.
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