Vers une société de surveillance et de contrôle?
Dans Technology and Empire (1969), le penseur canadien George Parkin Grant affirmait que le progrès technique s’était mis au service d’une maîtrise utilitaire du monde destinée à un contrôle technocratique et à des appétits capitalistes.
C’était là une réplique - négative - au «village global» décrit en 1967 par un autre intellectuel canadien, Marshall McLuhan (The Medium is the Massage).
Un demi-siècle après, qu’en est-il de cette uniformisation du monde qu’un conservateur comme Grant combattait farouchement au nom d’un patriotisme dont témoigne Lament for A Nation (1965)?
Unifié par le libéralisme et la technique, notre monde n’apparaît pas moins incertain et imprévisible. Tendances hégémoniques de certains pays, crise du contrat social, à cela s’ajoute les menaces sur la vie privée et sur notre condition sociale et politique.
En outre, comment ne pas devenir méfiant face à ces groupes qui possèdent les données de leurs clients respectivement 2,5 milliards et 330 millions d’abonnés pour Facebook et Twitter - mais qu’ils parviennent difficilement à protéger?
Les scandales liés à Cambridge Analytica, qui s’est servie des informations personnelles de 87 millions d’utilisateurs de Facebook pour cerner leurs intérêts et leurs opinions politiques, et à la ligue du LOL, qui a moqué et menacé des homosexuels, des féministes et des blogueurs via des comptes Twitter pseudonymes font encore froid dans le dos.
Les fausses nouvelles, la publicité politique et l’usage abusif de données personnelles sont désormais monnaie courante dans les réseaux sociaux. Bien qu’employé massivement, Internet n’est pas maîtrisé par la plupart de ses utilisateurs. Si les technologies de l’information font partie de notre quotidien et permettent de sillonner la planète, leur usage cache bien des dangers.
Qu’en sera-t-il lorsque la 5G - la 6G étant déjà en projet - sera accessible partout? Certains prédisent des problèmes de sécurité très élevés. La bataille que se livrent les fournisseurs de cette nouvelle technologie pour s’imposer sur le marché et se tailler la part du lion se justifie également par des enjeux financiers colossaux. Mais, pardelà les enjeux sécuritaires et financiers, il y a aussi un enjeu politique. Certains parlent même d’une déstabilisation des démocraties occidentales.
D’où le haut degré de méfiance qu’inspire la compagnie Huawei, principal fournisseur mondial d’équipement réseau Internet et de technologie mobile. Financée par des banques publiques chinoises, soutenue par l’armée et par son gouvernement, on lui reproche notamment de pratiquer de l’espionnage et des cyberopérations.
Or, même si Huawei et les BATX chinois peuvent présenter des dangers pour la stabilité des démocraties, l’Occident n’a pas eu à attendre jusqu’à maintenant pour prendre la mesure de la menace des nouvelles technologies.
Le scandale informatique entourant l’élection présidentielle américaine de novembre 2016 en est une belle illustration. D’après les services de renseignement américain, la Russie aurait commandité le piratage des ordinateurs du parti démocrate dès l’été 2015, ainsi que le vol de dossiers du parti républicain à partir de mars 2016. Cette infiltration dans les données des deux principaux partis politiques américains a permis à WikiLeaks de rendre publiques, en octobre 2016, des informations classées confidentielles. Ce qui aurait, dit-on, affaibli la campagne de la candidate démocrate, Hillary Clinton.
Par ailleurs, grâce au lanceur d’alerte américain Edward Snowden, ancien employé de la CIA et de la NSA, la planète entière put découvrir, en juin 2013, des programmes américains de surveillance électronique en concertation avec d’autres services de renseignement étrangers (Five Eyes et Allemagne).
Rien ne fut laissé au hasard par l’État technicien qui oeuvrait en coulisse à notre insu. Au nom de la sécurité nationale et de celle des États alliés, tout utilisateur d’Internet pouvait être surveillé. Le prétexte mis de l’avant: obtenir des informations utiles pour prévenir une menace potentiellement dangereuse. Difficile d’imaginer une atteinte plus grave aux droits fondamentaux.
Il y a pourtant une autre inquiétude à l’horizon. C’est celle liée à l’intelligence artificielle (IA) qui, selon certains, pourrait détrôner le cerveau humain d’ici 2030. On l’associe à la troisième révolution industrielle. Elle s’accompagne de robots à commandes numériques alimentés de puces anthropomorphiques et neuromorphiques imitant le cerveau humain, ainsi que d’ordinateurs et de
Comment ne pas devenir méfiant face à ces groupes qui possèdent les données de leurs clients - respectivement 2,5 milliards et 330 millions d’abonnés pour Facebook et Twitter - mais qu’ils parviennent difficilement à les protéger? - Archives logiciels ultra-sophistiqués qui seront à que dans une ou deux générations une l’avenir beaucoup plus puissants grâce à portion de la population mondiale l’informatique quantique; le tout pourrait être composée de «travailleurs coordonné en réseau et pouvant être sans travail» (Hannah Arendt, Condition localisé et dirigé à distance. de l’homme moderne, 1958)?
Ce rêve d’échapper à la condition Ce que suggère le débat sur l’IA, c’est humaine en substituant au cerveau que l’utilisation des connaissances humain des outils techniques fait partie scientifiques et techniques est une des plus vieux songes de la littérature et question qu’on ne peut guère de la science-fiction. Mais les abandonner aux scientifiques et aux possibilités qu’offrent les technologies politiques. Par-delà l’épineuse question intelligentes avec le numérique et la sociale du travail, il y a d’autres dangers robotisation peuvent aussi mystifier. à ce qu’une élite restreinte de décideurs
Sans rejeter d’un revers de main le contrôle notre existence sans débat et potentiel de l’IA - en science (la sans discussion préalables. génomique), en médecine (les Ces dangers vont du contrôle de nanotechnologies), ainsi que dans notre ADN par une base de données à l’exécution de tâches complexes et des logiciels utilisés par les tribunaux, pénibles pour l’homme -, on peut d’ores jusqu’au pouvoir des algorithmes, sans et déjà affirmer qu’elle aura des oublier les entreprises high tech qui répercussions sur le travail. possèdent d’énormes informations
Comment les États aborderont-ils la concernant notre vie privée, mais qui les question de la productivité au travail? revendent à prix d’or, ainsi que des
L’IA conduira-t-elle à des loisirs plus programmes de reconnaissance faciale développés ou va-t-elle plutôt obtenus sur Internet sans notre déboucher sur de l’oisiveté forcée? consentement.
Le phénomène incite déjà à sonder de Le temps est venu, pour des pays nouvelles pistes. Tous les secteurs de la réformateurs et fortement imprégnés vie sont touchés. Mais seul le domaine des valeurs démocratiques, d’instaurer de la recherche et du savoir pourrait des garde-fous afin de contrer une émerger. forme inédite de contrôle social.
Comparativement aux travailleurs C’est à eux qu’incombe, au niveau moins qualifiés, ce domaine est local, la responsabilité de règles et composé d’industriels, de scientifiques, d’institutions à vocation internationale de techniciens et d’enseignants. pour s’assurer que le progrès
Certes, le progrès a toujours un prix. technologique ne devienne pas un «faux Mais l’IA, le numérique et les nouvelles étendard de liberté». technologies pourraient séparer en deux À défaut de quoi, d’autres acteurs la population mondiale: d’un côté une plus autoritaires et moins respectueux élite spécialisée, de l’autre une masse des droits et liberté se chargeront de travailleurs précarisés. Qui peut nier d’agir.
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