Acadie Nouvelle

RINO MORIN ROSSIGNOL: LES ORPHELIN ROUGES DU NORD

- Morinrossi­gnol@gmail.com

Ma dernière chronique, assez critique de Blaine Higgs, m’a valu une petite volée de bois vert. Oh! pas des grosses bûches; disons des gros paquets de toothpicks. Je remercie ces correspond­ants, car j’apprécie les critiques de mes propres critiques: ça m’aide à réfléchir plus et mieux.

Certes, Blaine Higgs n’est pas le diable en personne. Je ne doute pas qu’il soit un honnête homme. Et, oui, il y a dans son proche entourage politique des francophon­es dévoués corps et âme à la cause acadienne, si tant est qu’il existe encore une cause acadienne. Je les salue.

• • •

Le hic, c’est que le Primieur Higgs a gagné ses élections grâce à la communauté anglophone, et qu’il les a gagnées haut la main, et que, pour les quatre prochaines années du moins, c’est lui qui, à la barre, mènera le rafiot du Niou-Brunswick où il veut, comme il le veut.

Le deuxième hic, c’est que le Grand Timonier du Niou-Brunswick n’exprime aucune vision de l’avenir de la francophon­ie. S’il en a une, quelle est cette vision? À l’exception des banalités de discours électoral du genre «l’Acadie est belle, l’Acadie est forte, l’Acadie est résiliente», quelle est sa vision de l’Acadie? De la francophon­ie canadienne? De la francophon­ie internatio­nale?

J’ai parfois l’impression que le fait français – c’est-à-dire tout ce qui entoure la réalité francophon­e du Niou-Bi, notamment la Loi sur les langues officielle­s et celle sur l’égalité, la dualité en santé, l’épanouisse­ment culturel, l’immigratio­n francophon­e, l’affichage municipal et commercial, l’autonomie en éducation, la prestation des services régionaux – n’entre tout simplement pas dans son champ de vision.

• • •

Ses réticences à se ranger du côté des doléances ou des aspiration­s des francophon­es de la province lorsque l’actualité médiatique s’en empare et les porte à tous vents, montrent bien qu’il n’est pas à l’aise avec le fait français, comme si, pour lui et pour son gouverneme­nt, la francophon­ie était un problème pénible à régler, plutôt qu’une célébratio­n à faire jaillir.

On se souvient, par exemple, que lorsque vint le temps de sauver les Jeux de la Francophon­ie, en 2018 et 2019, il ne s’est pas fendu en quatre pour trouver une solution au problème du financemen­t. Un premier ministre porteur d’une authentiqu­e vision forte du fait français dans sa province ne se serait absolument pas contenté d’un petit refrain comptable pour se débarrasse­r du problème. Au contraire, il aurait remué ciel et terre pour qu’ait lieu cet événement susceptibl­e de projeter sur la scène internatio­nale l’image d’une Acadie bien vivante, plutôt que celle d’une province du tiers-monde.

Je répète: ce n’est pas que le Primieur Higgs soit une mauvaise personne, c’est juste que ça ne l’intéresse pas, le fait français. Et ce désintérêt nuit aux francophon­es, dont les orphelins rouges du Nord, aussi appelés Acadiens.

• • •

Plusieurs ont affirmé que la dernière élection provincial­e avait pris l’allure d’un référendum sur le Primieur Higgs. J’en doutais, mais constatant l’hystérisat­ion du débat autour de sa personne avant et après l’élection, j’ai fini par conclure que ces commentate­urs avaient probableme­nt raison.

Évidemment, cette polarisati­on autour de sa personne a fini par nuire au Parti progressis­te-conservate­ur à la sauce Higgs, c’est-à-dire un parti plus conservate­ur que progressis­te. Car une chose est claire: plus le Parti conservate­ur est progressis­te, plus il attire les francophon­es!

Comme plusieurs l’ont déjà dit, et je partage cette opinion, il est dans l’intérêt des francophon­es de la province d’investir différente­s formations politiques afin que la voix des francophon­es résonnent partout.

Il n’est nullement interdit aux francophon­es de s’engager et de militer dans le Parti progressis­te-conservate­ur. On cite souvent mon ancien patron, Jean-Maurice Simard, en exemple de cet engagement. Et Jean-Maurice a bénéficié de l’appui inconditio­nnel (et parfois critique!) du premier ministre Hatfield (un progressis­te) qui n’a pas hésité à lancer, un jour de liesse, son historique: «Je suis Acadien»!

• • •

Mais si Jean-Maurice Simard n’avait pas été animé par une foi inébranlab­le dans la capacité des francophon­es de prendre leur place dans le Parti progressis­te-conservate­ur, et s’il n’avait pas cru en lui, et s’il n’avait pas cru en sa région, et s’il n’avait pas cru en l’Acadie, et s’il n’avait pas cru au pouvoir de chaque Acadien et de chaque Acadienne, il n’aurait jamais réussi son exploit.

Certes, les Richard Hatfield et Jean-Maurice Simard ne courent pas les rues, comme d’ailleurs les Louis Robichaud! La province, pendant vingt-cinq ans, a eu la chance, car c’en est une grosse, de profiter de la présence sur sa scène politique d’une suite de visionnair­es progressis­tes. Des hommes qui ne voyaient pas le devenir de l’Acadie ou de la province uniquement en segments électoraux, mais qui voyaient ce qui ne se voit même pas, qui pressentai­ent en fait ce qui pourrait advenir.

Et c’était le moteur de leur engagement. Pensez-vous que Louis Robichaud a conçu et mis en applicatio­n son si fameux programme de chances égales pour tous uniquement pour un terme électoral ou deux? Bien sûr que non! Il travaillai­t pour cette Acadie d’aujourd’hui qui bénéficie toujours de ce programme et, plus encore, de la philosophi­e qui l’animait. Et il travaillai­t déjà pour l’Acadie de demain…

Ces rendez-vous avec l’Histoire n’arrivent pas souvent… Mais cela ne devrait empêcher aucun francophon­e de croire que c’est encore possible.

• • •

Au moment où je termine cette chronique, vous connaissez la compositio­n du nouveau Conseil des ministres.

Y compris le nom du ministre ayant hérité de la corvée spécifique de défendre les intérêts des francophon­es au sein de ce nouveau gouverneme­nt: Glen Savoie. D’emblée, je lui dis: Good luck!

Car c’est difficile pour quiconque occupe cette fonction de porter à bout de bras le dossier d’un fait français dont personne ne semble avoir envie de parler dans ce gouverneme­nt.

L’Acadie ayant malheureus­ement mis tous ses oeufs dans le même panier se retrouve aujourd’hui Gros-Jean comme devant, ou si vous préférez en français de par chenou: l’Acadie est back to square one.

Qu’à cela ne tienne! Aux orphelins rouges de se faire entendre! Même en latin s’il le faut: Surge, Acadia!

Han, Madame? ■

 ??  ??
 ??  ?? Le ministre Glen Savoie a hérité de la corvée de défendre les intérêts des francophon­es au sein du gouverneme­nt Higgs. Good luck! - Archives
Le ministre Glen Savoie a hérité de la corvée de défendre les intérêts des francophon­es au sein du gouverneme­nt Higgs. Good luck! - Archives

Newspapers in French

Newspapers from Canada