RINO MORIN ROSSIGNOL: LES ORPHELIN ROUGES DU NORD
Ma dernière chronique, assez critique de Blaine Higgs, m’a valu une petite volée de bois vert. Oh! pas des grosses bûches; disons des gros paquets de toothpicks. Je remercie ces correspondants, car j’apprécie les critiques de mes propres critiques: ça m’aide à réfléchir plus et mieux.
Certes, Blaine Higgs n’est pas le diable en personne. Je ne doute pas qu’il soit un honnête homme. Et, oui, il y a dans son proche entourage politique des francophones dévoués corps et âme à la cause acadienne, si tant est qu’il existe encore une cause acadienne. Je les salue.
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Le hic, c’est que le Primieur Higgs a gagné ses élections grâce à la communauté anglophone, et qu’il les a gagnées haut la main, et que, pour les quatre prochaines années du moins, c’est lui qui, à la barre, mènera le rafiot du Niou-Brunswick où il veut, comme il le veut.
Le deuxième hic, c’est que le Grand Timonier du Niou-Brunswick n’exprime aucune vision de l’avenir de la francophonie. S’il en a une, quelle est cette vision? À l’exception des banalités de discours électoral du genre «l’Acadie est belle, l’Acadie est forte, l’Acadie est résiliente», quelle est sa vision de l’Acadie? De la francophonie canadienne? De la francophonie internationale?
J’ai parfois l’impression que le fait français – c’est-à-dire tout ce qui entoure la réalité francophone du Niou-Bi, notamment la Loi sur les langues officielles et celle sur l’égalité, la dualité en santé, l’épanouissement culturel, l’immigration francophone, l’affichage municipal et commercial, l’autonomie en éducation, la prestation des services régionaux – n’entre tout simplement pas dans son champ de vision.
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Ses réticences à se ranger du côté des doléances ou des aspirations des francophones de la province lorsque l’actualité médiatique s’en empare et les porte à tous vents, montrent bien qu’il n’est pas à l’aise avec le fait français, comme si, pour lui et pour son gouvernement, la francophonie était un problème pénible à régler, plutôt qu’une célébration à faire jaillir.
On se souvient, par exemple, que lorsque vint le temps de sauver les Jeux de la Francophonie, en 2018 et 2019, il ne s’est pas fendu en quatre pour trouver une solution au problème du financement. Un premier ministre porteur d’une authentique vision forte du fait français dans sa province ne se serait absolument pas contenté d’un petit refrain comptable pour se débarrasser du problème. Au contraire, il aurait remué ciel et terre pour qu’ait lieu cet événement susceptible de projeter sur la scène internationale l’image d’une Acadie bien vivante, plutôt que celle d’une province du tiers-monde.
Je répète: ce n’est pas que le Primieur Higgs soit une mauvaise personne, c’est juste que ça ne l’intéresse pas, le fait français. Et ce désintérêt nuit aux francophones, dont les orphelins rouges du Nord, aussi appelés Acadiens.
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Plusieurs ont affirmé que la dernière élection provinciale avait pris l’allure d’un référendum sur le Primieur Higgs. J’en doutais, mais constatant l’hystérisation du débat autour de sa personne avant et après l’élection, j’ai fini par conclure que ces commentateurs avaient probablement raison.
Évidemment, cette polarisation autour de sa personne a fini par nuire au Parti progressiste-conservateur à la sauce Higgs, c’est-à-dire un parti plus conservateur que progressiste. Car une chose est claire: plus le Parti conservateur est progressiste, plus il attire les francophones!
Comme plusieurs l’ont déjà dit, et je partage cette opinion, il est dans l’intérêt des francophones de la province d’investir différentes formations politiques afin que la voix des francophones résonnent partout.
Il n’est nullement interdit aux francophones de s’engager et de militer dans le Parti progressiste-conservateur. On cite souvent mon ancien patron, Jean-Maurice Simard, en exemple de cet engagement. Et Jean-Maurice a bénéficié de l’appui inconditionnel (et parfois critique!) du premier ministre Hatfield (un progressiste) qui n’a pas hésité à lancer, un jour de liesse, son historique: «Je suis Acadien»!
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Mais si Jean-Maurice Simard n’avait pas été animé par une foi inébranlable dans la capacité des francophones de prendre leur place dans le Parti progressiste-conservateur, et s’il n’avait pas cru en lui, et s’il n’avait pas cru en sa région, et s’il n’avait pas cru en l’Acadie, et s’il n’avait pas cru au pouvoir de chaque Acadien et de chaque Acadienne, il n’aurait jamais réussi son exploit.
Certes, les Richard Hatfield et Jean-Maurice Simard ne courent pas les rues, comme d’ailleurs les Louis Robichaud! La province, pendant vingt-cinq ans, a eu la chance, car c’en est une grosse, de profiter de la présence sur sa scène politique d’une suite de visionnaires progressistes. Des hommes qui ne voyaient pas le devenir de l’Acadie ou de la province uniquement en segments électoraux, mais qui voyaient ce qui ne se voit même pas, qui pressentaient en fait ce qui pourrait advenir.
Et c’était le moteur de leur engagement. Pensez-vous que Louis Robichaud a conçu et mis en application son si fameux programme de chances égales pour tous uniquement pour un terme électoral ou deux? Bien sûr que non! Il travaillait pour cette Acadie d’aujourd’hui qui bénéficie toujours de ce programme et, plus encore, de la philosophie qui l’animait. Et il travaillait déjà pour l’Acadie de demain…
Ces rendez-vous avec l’Histoire n’arrivent pas souvent… Mais cela ne devrait empêcher aucun francophone de croire que c’est encore possible.
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Au moment où je termine cette chronique, vous connaissez la composition du nouveau Conseil des ministres.
Y compris le nom du ministre ayant hérité de la corvée spécifique de défendre les intérêts des francophones au sein de ce nouveau gouvernement: Glen Savoie. D’emblée, je lui dis: Good luck!
Car c’est difficile pour quiconque occupe cette fonction de porter à bout de bras le dossier d’un fait français dont personne ne semble avoir envie de parler dans ce gouvernement.
L’Acadie ayant malheureusement mis tous ses oeufs dans le même panier se retrouve aujourd’hui Gros-Jean comme devant, ou si vous préférez en français de par chenou: l’Acadie est back to square one.
Qu’à cela ne tienne! Aux orphelins rouges de se faire entendre! Même en latin s’il le faut: Surge, Acadia!
Han, Madame? ■