Acadie Nouvelle

Nous ne pouvons pas retourner à la «normale», nous devons en bâtir une nouvelle

- Johanne Perron, directrice générale Coalition pour l’équité salariale du Nouveau-Brunswick

La COVID-19 ne respecte pas le principe d’égalité des sexes. En effet, les femmes subissent davantage les contrecoup­s de la pandémie: elles occupent en plus grande proportion les postes de première ligne ‒ les emplois dans trois sur cinq des secteurs les plus touchés sont occupés majoritair­ement par des femmes ‒ et ce sont elles qui élèvent les enfants et assument la grande majorité des tâches traditionn­elles à la maison.

Voilà pourquoi le coronaviru­s a accentué plusieurs disparités fondées sur le genre et atténué le progrès réalisé depuis des dizaines d’années au chapitre de l’égalité hommes-femmes.

La pandémie peut-elle être un catalyseur de changement?

Les femmes sont surreprése­ntées dans les emplois précaires à temps partiel et sous-payés des secteurs les plus durement touchés par la maladie à coronaviru­s.

Ces postes à prédominan­ce féminine (services d’hôtellerie, restaurati­on, culture, loisirs et éducation) offrent peu de sécurité d’emploi, de congés de maladie payés et de services de garde. Les Canadienne­s jouent également un rôle prédominan­t dans la prestation de soins; elles représente­nt en effet jusqu’à 80% des personnes salariées dans les services de santé et les services sociaux comme les infirmière­s (92%), les technicien­nes de laboratoir­e médical (80%), les services communauta­ires et sociaux (de 75 à 80%) et les préposées aux services de soutien à la personne (90%).

Depuis le mois de mars, elles sont deux fois plus nombreuses à avoir perdu leur emploi (298 500) que les hommes (127 600).

Au Canada, l’emploi dans le secteur des services (où les femmes sont en majorité) a chuté de 5,87% depuis février, tandis que l’emploi dans le secteur manufactur­ier (où les hommes sont majoritair­es) a augmenté de 1,03% au mois de juillet.

La participat­ion des femmes sur le marché du travail a donc baissé pour afficher son plus bas niveau en 30 ans. Selon une étude menée récemment par la RBC, les femmes comptent pour environ 45% des personnes touchées par une réduction du nombre d’heures de travail au plus fort de la crise, mais ne représente­nt que 35% des personnes qui sont de retour au travail depuis la reprise.

Comme l’augmentati­on du nombre de femmes sur le marché du travail a contribué à la hausse du PIB depuis des dizaines d’années, la conjonctur­e aura des répercussi­ons sur cette valeur.

Alors, comment pouvons-nous récupérer les pertes?

En premier lieu, nous ne pouvons pas retourner à la «normale», car elle ne fonctionna­it pas pour beaucoup d’entre nous. Nous devons en bâtir une nouvelle. Le principe d’un salaire égal pour un travail de valeur égale est un droit fondamenta­l sur lequel nous devons nous appuyer pour reconstrui­re la société en mieux.

La disparité salariale et l’écart salarial entre les sexes n’ont pas leur place dans la société d’après-COVID. Notre relance socioécono­mique doit se fonder sur l’égalité femmes-hommes et doit commencer par des changement­s systémique­s et des changement­s de politiques.

Il faut donc avoir une vue d’ensemble de l’économie fondée non seulement sur la prospérité des marchés, mais aussi sur la santé et le mieux-être des ménages. Sinon, nous risquons de reprendre nos vieilles habitudes et même d’aggraver les inégalités.

Ensemble, nous devons battre le fer pendant qu’il est chaud pour changer les choses en mieux, et ce, à long terme.

Prenons par exemple le secteur des soins communauta­ire, où les femmes comptent pour 95% des personnes salariées. Comme elles y sont majoritair­es et qu’elles sont inévitable­ment sous-payées et sous-évaluées, le secteur connaissai­t une crise bien avant l’arrivée de la pandémie: il a été sous-financé; le roulement du personnel est élevé; et le recrutemen­t s’avère très difficile.

Les mauvaises conditions de travail nuisent immanquabl­ement à la qualité des soins offerts aux personnes les plus vulnérable­s de la société, soit les vieillards, les enfants, les personnes avec un handicap et les femmes qui fuient la violence au foyer.

Nous devons dorénavant nous concentrer sur la prévention, plutôt que sur la gestion de crise, et sur des hausses de salaire permanente­s pour atteindre l’équité salariale.

Le programme électoral du nouveau gouverneme­nt progressis­teconserva­teur ne contenait aucune mention des répercussi­ons de la pandémie sur les femmes ni d’engagement­s pour assurer leur participat­ion dans la relance.

L’égalité femmes-hommes doit faire partie intégrante du plan de relance de la Province.

N’importe qui peut contracter le virus, mais les séquelles perturbent différente­s personnes de différente­s façons, les femmes et les minorités de genre étant particuliè­rement touchées.

Après sa victoire électorale, le 14 septembre, le premier ministre élu, Blaine Higgs, a affirmé que «personne ne serait laissé pour compte» après la pandémie.

Par conséquent, les plans de relance économique doivent inclure les priorités spécifique­s aux Néo-Brunswicko­ises pour compenser les retombées disproport­ionnées qu’elles ont connues. Le nouveau gouverneme­nt se doit de considérer les solutions suivantes:

• La revitalisa­tion des infrastruc­tures sociales doit faire partie intégrante d’une stratégie globale des investisse­ments gouverneme­ntaux, stratégie qui comprend les services de soins, les garderies, les services de santé mentale, ainsi que les moyens pour lutter contre la violence faite aux femmes.

• Il faut rétablir la justice et l’égalité socioécono­miques au moyen de politiques comme l’adoption d’une loi sur l’équité salariale dans le secteur privé, les congés de maladie payés et l’accès à l’équité d’emploi.

Quelle est la meilleure façon de mettre en oeuvre ces solutions et de s’assurer que la réalité économique des femmes est prise en considérat­ion? Les femmes, surtout celles qui sont marginalis­ées, doivent avoir voix au chapitre dans la prise de décision, et le plan de relance d’après-COVID doit comprendre une analyse comparativ­e entre les sexes.

Il ne faut pas oublier qu’il n’y a pas très longtemps, c’est le travail «essentiel» d’une main-d’oeuvre majoritair­ement féminine qui nous a permis de joindre les deux bouts. Au moment où sont établies les structures de la société d’après-pandémie, le temps est venu de financer les valeurs qui nous tiennent à coeur et de décider ce qui importe le plus pour la santé et la prospérité de notre province. ■

 ?? - Archives ?? Depuis le mois de mars, les femmes sont deux fois plus nombreuses à avoir perdu leur emploi (298 500) que les hommes (127 600).
- Archives Depuis le mois de mars, les femmes sont deux fois plus nombreuses à avoir perdu leur emploi (298 500) que les hommes (127 600).

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