Les jeunes oubliés
C’était prévisible. La pandémie a poussé des centaines de citoyens à retirer leurs enfants des écoles afin de privilégier l’enseignement à domicile. Ce n’est pas problématique. Il y a depuis toujours des parents qui ont choisi d’opter pour l’école à la maison, et ce, pour une multitude de raisons. Il y a toutefois des failles dans le système. Des failles que nous avons historiquement tolérées, parce qu’elles touchaient bien peu de personnes, mais auxquelles il faudra s’attarder un jour.
Le dossier exclusif de notre journaliste Simon Delattre, publié mercredi dans l’Acadie Nouvelle, est révélateur à bien des égards.
Le gouvernement provincial a accordé pour l’année scolaire en cours un peu plus de 1800 exemptions à des familles qui préfèrent instruire leurs enfants à la maison. C’est presque le double que l’année précédente. On retrouve de tout dans ce groupe. Par exemple, certains craignent que leur progéniture attrape la COVID-19 à l’école ou la transfère ensuite dans leur milieu familial. C’est notamment (mais pas uniquement) le cas des personnes qui ont un fils ou une fille malade ou immuno-dépressif et dont les effets du coronavirus pourraient être dévastateurs, voire mortels.
D’autres ne craignent pas spécifiquement le virus, celui-ci étant absent de la plupart des régions de la province. Ils ne veulent toutefois pas envoyer leur enfant dans ce nouvel environnement où les élèves doivent porter le masque et respecter des mesures sanitaires ainsi que des restrictions extrêmes. Des protocoles «traumatisants», a témoigné un parent dans nos pages.
Il y a aussi des Néo-Brunswickois qui ne sont simplement pas satisfaits de la qualité de l’enseignement offert dans nos établissements scolaires ou qui croient pouvoir faire mieux à la maison. Plusieurs font ce choix depuis de nombreuses années, bien avant que la pandémie n’entre dans notre vocabulaire.
Il n’y a rien de mal à cela.
Tous les jeunes ne sont pas pareils. Ils ne rentrent pas tous dans le moule de l’école.
Le système scolaire est adapté au plus grand nombre, mais il lui arrive de manquer de souplesse pour s’adapter aux besoins particuliers de chacun.
C’est sans oublier ceux et celles qui sentent qu’ils n’ont pas d’autres choix que de retirer leur enfant du système, à la suite par exemple d’incidents d’intimidation mal gérés par les autorités scolaires.
Au Nouveau-Brunswick, l’école est obligatoire jusqu’à la fin des études secondaires ou l’âge de 18 ans. Il est toutefois surprenamment facile de retirer son garçon ou sa fille du système scolaire. Il suffit de remplir un simple formulaire, de présenter un plan de scolarisation et le tour est joué.
L’enfant apprend-il au même rythme que ses camarades en milieu scolaire? Accumulet-il du retard? Reçoit-il même dans les faits de l’instruction?
Le ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance l’ignore. Le district scolaire aussi, tout comme l’école.
Il n’y aura aucune inspection ou vérification, à moins que le district scolaire signale ses préoccupations au ministère.
À leur décharge, l’enseignement à domicile est un phénomène relativement marginal au N.-B., et encore plus en Acadie. Il n’y avait que 32 élèves dans cette situation dans le secteur francophone lors de la dernière année scolaire. Ce nombre est toutefois aujourd’hui presque quatre fois plus élevé. Nul doute que la COVID-19 a joué un rôle.
On peut aussi supposer que la plupart des parents qui enseignent à la maison sont suffisamment instruits pour mener à bien cette tâche. Il n’y a pas de statistiques à ce sujet, mais il est permis de croire qu’un analphabète ne tenterait pas d’apprendre à ses enfants à lire et à écrire.
Cela dit, la popularité de l’enseignement à domicile n’ira sans doute pas en décroissant. Le phénomène existe et risque de gagner encore plus d’adeptes, surtout si Fredericton se décide un jour à imposer la vaccination obligatoire dans les écoles (contre la COVID-19, par exemple).
Il n’est pas normal que les parents ne soient pas tenus, une fois la demande acceptée, de fournir des rapports au ministère ou de faire participer leur «élève» aux évaluations provinciales.
Pire, le système scolaire leur met des bâtons dans les roues. Il ne fournit aucune ressource pédagogique à ceux qui en font la demande ou même d’indications sur ce que l’enfant a besoin de savoir. «Vous êtes complètement livrés à vous-mêmes», a dénoncé un parent dans nos pages.
Le ministère de l’Éducation ne doit pas complètement se déresponsabiliser.
Alors que la situation sanitaire pousse de nombreux Néo-Brunswickois à privilégier l’enseignement à la maison, le gouvernement doit imiter d’autres provinces, comme la Nouvelle-Écosse et le Québec.
Il doit imposer des suivis afin d’avoir la certitude que ces jeunes ont droit, eux aussi, à une éducation de qualité.