MANGER SANS CULPABILISER
La culpabilité n’a pas sa place à la table. En vue de l’Action de grâce, des spécialistes de l’alimentation partagent leurs conseils pour établir une relation saine avec la nourriture.
Sophie pousse un long soupir en mastiquant son dernier morceau de dinde.
Comme pour faire taire les remords qui l’envahissent déjà, elle s’enfonce dans sa chaise et éloigne son assiette le plus loin possible.
À sa droite, sa tante vante le nouveau régime qu’elle compte commencer demain. Son conjoint, lui, rigole en commentant sa gourmandise.
Celle qui n’avait pas mangé de la journée afin de compenser pour le festin, se sent maintenant ballonnée et pleine de regrets.
La soirée s’annonce longue... et le dessert n’a même pas encore été servi.
BIEN CHOISIR SES MOTS
Si les commentaires déplacés et les restrictions peuvent fragiliser notre relation avec les aliments, l’usage d’expressions comme «jour de triche», «faire attention» et «plaisir coupable» aussi.
«Ce genre de discours insinue automatiquement que l’on fait quelque chose de mal», fait remarquer Anna Léger, une diététiste.
Et à force de les répéter, ils finissent souvent par moraliser nos choix alimentaires.
«Lorsqu’on fixe une valeur morale aux aliments, par exemple bon ou mauvais, on risque de l’internaliser et de se sentir ensuite nous-même «bon» ou «mauvais» dépendamment de ce que l’on mange», a ajouté Justine Rickard, une étudiante en psychologie et animatrice d’un groupe de soutien pour les personnes vivant un trouble alimentaire.
Les termes anglophones «junk food» (malbouffe) et «clean eating» sont aussi critiqués par plusieurs diététistes pour la même raison.
Répandus par la culture du régime, ils viseraient à représenter une diète comme supérieure à une autre et rabaisser ceux qui ne la suivent pas.
«Il est impossible de faire la paix avec la nourriture lorsqu’on utilise ce type de vocabulaire», insiste Mme Rickard.
«Tous les aliments ont leur place dans notre diète et pour se bâtir une bonne relation avec eux, il faut absolument faire preuve de neutralité.»
En vue de l’Action de grâce, Gabrielle Michaud, une autre diététiste, rappelle aussi que les remarques sur le physique des autres sont à éviter… même ceux qui peuvent paraître inoffensifs.
«On a tendance à vouloir complimenter les gens lorsqu’ils maigrissent, mais on ne sait jamais vraiment pourquoi quelqu’un perd du poids. Est-ce un choix? Est-il malade?
Est-ce un symptôme d’une situation traumatique?», a-t-elle avancé.
LE SYNDROME DU DERNIER REPAS
Si vous vous reconnaissez dans l’histoire fictive de Sophie, vous n’êtes pas seuls.
Mme Michaud affirme qu’elle accompagne souvent des clients qui ont l’habitude de se restreindre afin de compenser pour les calories qu’ils ingèreront plus tard.
«Ils me disent qu’ils ne mangent pas pendant le jour pour être capables de manger en soirée sans se sentir coupables, mais le problème c’est que leurs instincts primitifs prennent le dessus et ils finissent par manger très vite et beaucoup (...), parfois même au point de se rendre malades.»
Aussi, dans l’optique de garder le contrôle, d’autres décident plutôt de se restreindre après un repas copieux.
Cette privation psychologique, comme on la voit notamment au temps des Fêtes, a des effets similaires. On l’appelle le syndrome du dernier repas.
«Le syndrome du dernier repas est un sentiment que l’on ressent lorsqu’on croit qu’on n’aura plus accès à certains aliments», a souligné Mme Rickard.
«Dans ce cas-là, on a tendance à beaucoup moins savourer notre nourriture et se sentir hors de contrôle à table.»
Pour éviter de tels malaises, les intervenantes conseillent de manger tout au long de la journée ainsi que de reconnaître et respecter ses signaux de faim et de satiété. ■