Acadie Nouvelle

MARIE DE SAINT-ÉTIENNE DE LA TOUR, SEIGNEURES­SE DE PORT-ROYAL

- MARC POIRIER

L’Acadie coloniale a vu naître plusieurs femmes moins connues, mais qui ont été des personnage­s importants, fortunés, en charge de leurs affaires et de leur destin. Quelques-unes de ces femmes faisaient partie de la famille de Charles de SaintÉtien­ne de La Tour, l’un des premiers aventurier­s et gouverneur de l’Acadie.

Marie de Saint-Étienne de La Tour fait partie de ce club sélect. Fille de Charles et de sa troisième femme, Jeanne Motin, elle avait pour trisaïeul, de par sa grand-mère Marie de Salazar, Jean de Salazar, mercenaire célèbre du Moyen-âge pendant la guerre de Cent Ans. Né en Espagne, il a participé à de multiples batailles et campagnes en France, dont la défense d’Orléans menée par Jeanne d’Arc, et la marche qui s’ensuivit à Reims pour sacrer roi le dauphin.

Marie est née vers 1655 à Port-Royal. Son père Charles meurt en 1663; sa mère, Jeanne Motin, environ sept ans plus tard. Marie est alors encore assez jeune; elle a environ 15 ans. L’historien Clarence-J. d’Entremont a avancé l’hypothèse qu’elle, ses deux soeurs et son frère ont été pris en charge par leur demi-soeur Jeanne, fille de la première femme de Charles de La Tour.

Vers 1675, Marie épouse Alexandre Le Borgne de Belle-Isle, issue lui aussi d’une autre famille importante du début de la colonie acadienne. Il est le fils d’Emmanuel Le Borgne, marchand prospère de La Rochelle, gouverneur de l’Acadie de 1657 à 1667, qui a été en conflit presque toute sa vie avec d’autres personnage­s influents de la colonie, comme Nicolas Denys, Charles de La Tour et la femme de celui-ci, Jeanne Motin, afin de se faire rembourser de grandes sommes d’argents qu’il avait prêtées à son premier mari, Charles d’Aulnay, pour justement établir la colonie acadienne. L’union entre Marie de Saint-Étienne de La Tour et Alexandre Le Borgne de Belle-Isle avait certaineme­nt pour but de réconcilie­r les deux familles et de régler les disputes. Mais dans un mémoire écrit plus tard, les enfants de Charles de La Tour et de Jeanne Motin, raconteron­t que leur mère, ayant soufferte des difficulté­s causées par la famille Le Borgne, leur disait «mes enfants, vous resterez ruinés et pauvres toute votre vie par la fourberie et méchanceté du Sieur Le Borgne qui m’a ravi et surpris malicieuse­ment lesdits transactio­ns et papiers qui concernent le peu de biens que j’ai toujours eu pendant ma vie, dont vous deviez jouir après ma mort».

En 1667, l’Acadie tombe aux mains des Anglais à la suite de l’attaque de Robert Sedgwick. Alexandre allait devenir gouverneur suppléant de l’Acadie pour quelques années, après quoi il portera le titre de «seigneur de Port-Royal». Il possède aussi des terres dans la région des Mines (Grand-Pré, Rivièreaux-Canards). Lorsqu’il meurt vers 1693, Marie devient «seigneures­se de Port-Royal». Elle va lui survivre pendant presque 40 ans.

Marie de Saint-Étienne de La Tour, propriétai­re terrienne Maintenant veuve et seigneures­se, Marie de Saint-Étienne de La Tour va s’occuper à gérer son domaine. Et à le sauvegarde­r. En effet, après la mort de son mari, les disputes entre les familles et Le Borgne reprennent.

Marie et ses deux soeurs donnent à leur frère Charles une procuratio­n afin qu’il se rende en France défendre les droits de la famille, alors que le beau-frère de Marie, André Le Borgne du Coudray, les revendique. En 1703, le Conseil d’État du roi à Paris tranche la question en accordant à André Le Borgne des terres dans la région de Pentagouët, soit à la frontière sud de l’Acadie, près de la Nouvelle-Angleterre, alors que les fiefs de Port-Royal et des Mines sont remis aux enfants de Charles de La Tour et à ceux de Marie et d’Alexandre Le Borgne. Les La Tour vont

Port Royal, à la fin du 18e siècle. - Gracieuset­é ensuite se disputer ces terres entre eux.

Après la conquête de l’Acadie en 1710, Marie s’installe pour une période de temps à Québec avec certains de ses enfants. En 1713, le traité d’Utrecht confirme la conquête, mais reconnaît les droits des seigneurs de l’ancienne colonie acadienne. Marie revient à Port-Royal. Ce n’est pas la première fois qu’elle vit un changement de régime.

Marie doit faire face aux revendicat­ions d’une membre de sa propre famille: sa nièce, Agathe de Saint-Étienne de La Tour, fille de son frère Jacques. Agathe, qui avait renoncé à la religion catholique pour épouser un officier anglais de Port-Royal devenu Annapolis Royal, revendiqua­it l’ensemble des terres seigneuria­les de ses frères, soeurs, tantes et oncles, qui, prétendait-elle, lui avaient concédées.

Ce n’était certaineme­nt pas le cas de sa tante Marie, puisque celle-ci tentait au même moment d’obtenir pour elle et son fils Alexandre la reconnaiss­ance des droits seigneuria­ux ayant appartenus à son mari Alexandre Le Borgne.

Mais en 1733, après s’être rendue à Londres plaider sa cause, Agathe se fait reconnaîtr­e la propriété de ces terres et les vendra l’année suivante à la Couronne britanniqu­e, ce qui était son but.

On considère que cette transactio­n marque la fin du système seigneuria­l en Nouvelle-Écosse.

Marie meurt en 1739. Une membre de sa famille va tenter une dernière fois de récupérer une partie de ces avoirs. Françoise Le Borgne de Belle-Isle, petite-fille de Marie, installée à la rivière Saint-Jean, en fait la demande aux autorités d’Annapolis Royal en 1740, mais sans suite. __________________

La plupart des informatio­ns sur la vie de Marie de Saint-Étienne de La Tour présentée dans cette chronique proviennen­t du texte Marie de Saint-Étienne de La Tour, de Josette Brun, dans Les Cahiers de la Société historique de l’Acadie, vol. 25, no 4 (Octobre-décembre 1994).

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