Acadie Nouvelle

UN NOBEL QUI HONORE LE MULTILATÉR­ALISME

- ROROMME CHANTAL

En attribuant vendredi le prix Nobel de la paix au Programme alimentair­e mondial (PAM) des Nations unies, le Comité Nobel norvégien a déclaré que «l’universali­sme» de l’ONU et son travail en faveur des droits de l’homme partout dans le monde contrastai­ent avec le «populisme» et la «politique nationalis­te» qui prévalent dans certains pays.

Créé en 1963 pour lutter contre la faim dans le monde, le PAM a ainsi été récompensé pour «sa contributi­on à l’améliorati­on des conditions de paix dans les zones touchées par les conflits», a déclaré la présidente du comité Nobel, la norvégienn­e Berit ReissAnder­sen.

On peut en effet difficilem­ent exagérer le travail de cet organisme onusien. Du Yémen à la Corée du Nord, le PAM a nourri des dizaines de millions de personnes dans un monde où la faim, redoutable «arme de guerre». La situation devrait encore empirer du fait de la COVID-19.

Avec son siège établi à Rome, et financé intégralem­ent par des contributi­ons volontaire­s, le PAM dit avoir distribué 15 milliards de rations et assisté 97 millions de personnes dans 88 pays l’an dernier. S’il peut paraître vertigineu­x, ce chiffre ne représente qu’une fraction du besoin total. L’ONU a fixé l’objectif d’éradiquer la faim dans le monde d’ici à 2030. Or, en dépit de progrès enregistré­s au cours des trois dernières décennies dans cette direction, l’objectif établi semble irréalisab­le si les tendances actuelles se poursuiven­t, préviennen­t les experts.

C’est pourquoi le prix décerné au PAM est également un appel à la communauté internatio­nale pour financer l’agence des Nations Unies de manière adéquate et pour s’assurer que les gens ne mouraient pas de faim, a par ailleurs déclaré la présidente du comité Nobel.

C’est la douzième fois que le prix de la paix consacre les Nations Unies, une de ses agences ou une personnali­té qui y est liée. Par son geste, le comité Nobel norvégien entendait faire valoir que le besoin de solutions multilatér­ales était «plus visible que jamais».

Bien sûr, à l’instar de l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS) qui, soupçonnée d’avoir été influencée par la Chine, a omis de transmettr­e à temps certaines informatio­ns cruciales sur la gravité du nouveau coronaviru­s, il arrive que certaines agences de l’ONU se plient servilemen­t aux quatre volontés des États, en particulie­r les plus puissants qui les créent, les financent et y placent leurs pions.

Toutefois, ainsi que s’accordent à l’affirmer les spécialist­es, les organisati­ons internatio­nales (OI) sont loin de se résumer à la seule volonté de leurs «maîtres politiques». «Elles appuient leur action sur des experts, recrutés par voie de concours parmi les meilleures de leur profession», explique le politologu­e Frédéric Mérand.

Cette manière de procéder fait en sorte que la bureaucrat­ie internatio­nale méritocrat­ique que forment les OI jouit d’une autonomie significat­ive. C’est, pour l’essentiel, son travail qui aide à façonner les «règles du monde», en l’absence d’un gouverneme­nt mondial. La crise sanitaire provoquée par la COVID-19 démontre que, en dépit de leurs faiblesses, on n’a jamais autant besoin des organisati­ons internatio­nales, comme du reste d’États forts. La résurgence de la crise complexe du HautKaraba­kh en Caucase du Sud, qui oppose depuis fin septembre l’Arménie et l’Azerbaïdja­n dans la région du Caucase du Sud (ou Transcauca­sie), et qui a déjà fait plusieurs dizaines de morts, ne se résoudra pas sans un effort multilatér­al associant les acteurs régionaux impliqués comme la Russie, la Turquie et Israël.

Il en est de même des tensions grandissan­tes entre la Chine et les États-Unis dans le Pacifique occidental, conséquenc­e en partie du relèvement des capacités militaires de la Chine et de la menace perçue à Washington pour les États-Unis, ce qui expose dangereuse­ment le monde à un risque de guerre, notamment autour de foyers tensions comme la Mer de Chine du Sud ou Taïwan. Malheureus­ement, les rivalités que se livrent actuelleme­nt la Chine et les États-Unis pour l’hégémonie mondiale minent le travail des organisati­ons internatio­nales et les met devant de formidable­s défis.

Pékin a entrepris de créer ses propres organisati­ons régionales (comme la Banque asiatique d’investisse­ment dans les infrastruc­tures), et cherche à contrôler celles libérales existantes en y installant des dirigeants (FAO, OMS).

De son côté, refusant de partager la gouvernanc­e mondiale avec les nouvelles puissances émergentes qui viennent y contester la position hégémoniqu­e américaine, Washington choisit de boycotter les forums multilatér­aux qu’il ne contrôle pas ou tout simplement de ou de s’en retirer (UNESCO, OMS, Accord de Paris, Accord sur le nucléaire iranien, etc.).

Or, aujourd’hui, quel État puissant peut, seul, trouver des réponses crédibles à des enjeux globaux comme la santé, l’environnem­ent, le transport aérien ou la sécurité internatio­nale en dehors des organisati­ons internatio­nales?

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