JOE BIDEN OU LE TON QUI FAIT LA CHANSON
Des leaders des principales puissances autoritaires du monde comme Xi Jinping de la Chine ou Vladimir Poutine de la Russie se sont abstenus jusqu’ici d’adresser personnellement leurs félicitations à Joe Biden, déclaré vainqueur de l’élection présidentielle du 3 novembre.
Il n’en a pas été ainsi des chefs d’État du camp libéral du monde qui se sont empressés de faire l’éloge du nouveau président élu américain et d’exprimer leur volonté de travailler avec lui afin de s’attaquer à certains grands défis mondiaux, de la COVID-19 aux changements climatiques, en passant par la promotion du multilatéralisme.
«J’ai vraiment hâte de poursuivre notre travail en ce sens, avec vous, a écrit sur Twitter le premier ministre du Canada Justin Trudeau en s’adressant à Joe Biden», rappelant que les peuples canadien et américain sont proches, amis et partenaires.
L’Union européenne a affirmé sa volonté de rebâtir avec les États-Unis un «partenariat solide» après une relation conflictuelle sous le mandat de Donald Trump. L’OTAN a salué samedi en la personne de Joe Biden «un solide partisan de l’alliance» militaire mondiale, que Donald Trump a tout au long de son jugé «obsolète» et «onéreuse». Joe Biden aidera sans aucun doute à la restauration de l’ordre mondial libéral, au sens d’un système international fondé sur des règles convenues, la promotion de la démocratie et du libre marché, et la défense des libertés individuelles et de sociétés ouvertes.
Donald Trump s’est, lui, toujours montré en délicatesse vis-à-vis de ces principes. Fait plus inquiétant encore, il a également démontré un penchant pour les hommes forts du monde, flirtant ouvertement avec Vladimir Poutine et le dictateur nord-coréen Kim Jong-un.
Trump n’a peut-être jamais lu Nicolas Machiavel, mais sa vision étroite des relations internationales ne s’est jamais émancipée du cynisme issu des pages de l’ouvrage classique Le Prince du philosophe florentin.
Pour Trump, le jeu international était forcément à somme nulle. Les États n’ont pas d’amis; ils n’ont que des intérêts.
Le monde célèbre donc légitimement le départ imminent du «Tweeter en chef» de la Maison-Blanche. Selon l’universitaire MarieThérèse Seguin, ce sera nécessaire afin de «marquer une pause dans la vie des nations». Le retour de Biden au bureau Ovale un changement fondamental dans la défense des intérêts stratégiques américains? Non.
Trump a peut-être été sur le fond plus brutal dans son traitement de l’Europe que Barack Obama, mais pas sur la forme. S’il a ordonné le retrait de milliers de soldats américains d’Europe en 2020, l’administration de son prédécesseur (dont un certain Biden a été vice-président) a fait la même chose en 2012. Obama conspuait ouvertement les «passagers clandestins» de l’ordre mondial qui l’«irritaient». C’était également Obama qui a initié le retrait de la puissance américaine du Moyen-Orient, diminué les troupes américaines en Afghanistan et en Irak avec les résultats que l’on sait.
C’est aussi Obama qui a menacé de sévir contre la guerre chimique de Bachar al-Assad en Syrie pour ensuite se déjuger. Trump n’a pas non plus inauguré la lune de miel des États-Unis avec l’Arabie saoudite liberticide. Obama a proclamé qu’il était temps de se concentrer sur la reconstruction de la nation américaine, cri de ralliement «Make America Great Again!» ou «America First» de Donald Trump ont fait écho. Trump a donc embrassé, mais n’a pas initié le virage néo-isolationniste des États-Unis.
Biden inversera-t-il cette tendance? Aura-t-il le courage politique de démolir les parties du mur à la frontière avec le Mexique construit sous Trump? Son administration rouvrira-telle les portes des États-Unis (que Trump a closes) aux masses du monde entier?
Les États-Unis de Trump renonceront-ils à s’affirmer comme une puissance du Pacifique occidental, au risque d’intensifier dangereusement la rivalité classique entre une puissance terrestre montante chinoise et la puissance maritime américaine établie? Le Moyen-Orient offre un aperçu de la présidence Biden en matière de politique étrangère. Il a promis de rétablir l’accord sur le nucléaire iranien, mais sa future administration entend laisser intacte la nouvelle alliance anti-Iran entre Israël et les États arabes du Golfe.
Face à la Russie de Poutine de plus en plus expansionniste, Biden pourra-t-il longtemps résister aux demandes intérieures américaines voulant que les Européens augmentent leurs dépenses de défense. De même, des pays comme le Canada devraient se préparer à une concurrence non moins féroce pour leur accès au marché américain. Cela fait dire que, si Biden se présente comme l’anti-Trump, il poursuivra certains des mêmes intérêts stratégiques fondamentaux des États-Unis, qu’il s’agisse de la Chine, la Russie, et de la concurrence commerciale avec l’Europe ou le Canada. «C’est le ton qui fait la chanson», dit vieil adage français, rappelle un analyste. Ainsi en sera-t-il de la présidence Biden.