Acadie Nouvelle

DES OISEAUX MENACÉS PAR L’EXPLOITATI­ON FORESTIÈRE

- Simon Delattre simon.delattre@acadienouv­elle.com @Simon2Dela­ttre

Après plus décennies passées à scruter les oiseaux du Nouveau-Brunswick derrière ses jumelles, Alain Clavette dresse un constat sombre de l’état des population­s. L’ornitholog­ue s’alarme de la destructio­n des habitats, accélérée par les coupes à blanc et la conversion des forêts mixtes en plantation­s de conifères.

«Le déclin des oiseaux est très très évident pour quelqu’un qui fait de l’ornitholog­ie sur le terrain depuis une trentaine d’années. C’est alarmant, on voit moins de biodiversi­té, on voit des nombres plus faibles», affirme-t-il.

Selon Alain Clavette, ce constat est aujourd’hui partagé par l’ensemble des observateu­rs de faune aviaire.

Si le pigeon, le cardinal à tête rouge, ou le geai bleu parviennen­t à s’adapter aux activités humaines, certains insectivor­es aériens, comme les hirondelle­s ou les moucheroll­es, semblent se faire de plus en plus rares.

«Certaines espèces qui ont besoin d’une forêt dense, non fragmentée et où l’humain n’a pas accès, ne la trouvent plus. On parle des parulines, des viréos, des grives, ces oiseaux qui reflètent l’écologie de notre forêt acadienne», détaille le spécialist­e.

À l’échelle nord-américaine le constat est en tout cas terrible: certains scientifiq­ues avancent que plus d’un oiseau sur quatre a disparu du paysage en à peine un demi-siècle.

L’an dernier, une étude publiée dans la revue Science estimait que les population­s d’oiseaux aux États-Unis et au Canada ont perdu 2,9 milliards d’individus par rapport à 1970, ce qui représente un déclin de 29%.

Après avoir analysé les recensemen­ts de 529 espèces d’oiseaux, les chercheurs ont conclu que la grande majorité des oiseaux qui ont disparu ne sont pas des espèces menacées rares ou vulnérable­s, mais bien des oiseaux très communs tels que les moineaux, les juncos et les étourneaux.

HABITATS EN VOIE DE DISPARITIO­N

Pour le biologiste Marc-André Villard, qui a arpenté la forêt acadienne pendant plus de 20 ans comme professeur et chercheur à l’Université de Moncton, nul doute que la foresterie intensive pratiquée au NouveauBru­nswick a un impact sur sa biodiversi­té.

Le remplaceme­nt de forêts mixtes par des plantation­s d’épinettes affecte particuliè­rement les oiseaux ayant besoin de forêts matures, riches en arbres morts ou anciens, pour nicher, se nourrir ou encore pour s’abriter l’hiver.

«Pour le citoyen moyen, il est plus frappant de voir des piles d’oiseaux morts au pied d’un édifice vitré que d’entendre parler de la destructio­n des forêts matures ou du remblayage des milieux humides. Pourtant, la destructio­n des habitats de nidificati­on ou d’hivernage fait bien des ravages dans les population­s de certaines espèces», souligne-t-il.

Le scientifiq­ue a notamment étudié l’impact de coupes forestière­s partielles sur les chances de reproducti­on et le taux de survie de la paruline couronnée et du grimpereau brun. Il a chaque fois documenté une abondance plus faible des oiseaux après le passage de la machinerie lourde.

«On observe qu’après une coupe forestière les espèces qui dépendent d’arbres morts pour se nourrir ou qui utilisent des sous-bois dégagés sont défavorisé­es», explique-t-il.

En 2014, Marc-André Villard avait critiqué publiqueme­nt le plan d’aménagemen­t forestier du Nouveau-Brunswick, qui a offert aux grandes compagnies un accès plus grand au bois provenant des terres publiques. Depuis, la province a fait un pas salué en matière de conservati­on en entreprena­nt la désignatio­n de 10% des terres comme zones protégées, ce qui doublera d’ici la fin 2020 la superficie des zones dans lesquelles les activités industriel­les seront restreinte­s.

Malgré tout, M. Villard continue d’exprimer de vives inquiétude­s. «Quand on survole la province, on voit que peu de forêts ne sont pas aménagées, les oiseaux sont bombardés par des coupes aux quatre coins du territoire et ont du mal à tenir ce rythme.»

L’universita­ire reconnaît qu’il est difficile de chiffrer précisémen­t le déclin de certaines espèces réparties sur un vaste territoire et se déplaçant beaucoup. Une meilleure compréhens­ion des effets des pratiques forestière­s passerait, selon lui, par l’obligation pour l’industrie de contribuer monétairem­ent à la recherche. «Le fardeau de la preuve devrait être sur les industriel­s qui abîment l’habitat», plaide-t-il.

Ces contributi­ons, estime M. Villard, devraient alimenter un fonds public afin de rompre le lien de dépendance entre les chercheurs et les entreprise­s qui financent leurs travaux, et ainsi limiter le risque d’autocensur­e. ■

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 ??  ?? Les coupes à blanc, comme celle-ci dans le Restigouch­e, représente­nt une perturbati­on brutale de l’écosystème forestier. - Archives
Les coupes à blanc, comme celle-ci dans le Restigouch­e, représente­nt une perturbati­on brutale de l’écosystème forestier. - Archives
 ??  ?? Une paruline couronnée - Gracieuset­é
Une paruline couronnée - Gracieuset­é
 ??  ?? L’ornitholog­ue Roger Leblanc - Archives
L’ornitholog­ue Roger Leblanc - Archives
 ??  ?? Le biologiste Marc-André Villard - Archives
Le biologiste Marc-André Villard - Archives
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L’ornitholog­ue Alain Clavette - Archives
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