DES OISEAUX MENACÉS PAR L’EXPLOITATION FORESTIÈRE
Après plus décennies passées à scruter les oiseaux du Nouveau-Brunswick derrière ses jumelles, Alain Clavette dresse un constat sombre de l’état des populations. L’ornithologue s’alarme de la destruction des habitats, accélérée par les coupes à blanc et la conversion des forêts mixtes en plantations de conifères.
«Le déclin des oiseaux est très très évident pour quelqu’un qui fait de l’ornithologie sur le terrain depuis une trentaine d’années. C’est alarmant, on voit moins de biodiversité, on voit des nombres plus faibles», affirme-t-il.
Selon Alain Clavette, ce constat est aujourd’hui partagé par l’ensemble des observateurs de faune aviaire.
Si le pigeon, le cardinal à tête rouge, ou le geai bleu parviennent à s’adapter aux activités humaines, certains insectivores aériens, comme les hirondelles ou les moucherolles, semblent se faire de plus en plus rares.
«Certaines espèces qui ont besoin d’une forêt dense, non fragmentée et où l’humain n’a pas accès, ne la trouvent plus. On parle des parulines, des viréos, des grives, ces oiseaux qui reflètent l’écologie de notre forêt acadienne», détaille le spécialiste.
À l’échelle nord-américaine le constat est en tout cas terrible: certains scientifiques avancent que plus d’un oiseau sur quatre a disparu du paysage en à peine un demi-siècle.
L’an dernier, une étude publiée dans la revue Science estimait que les populations d’oiseaux aux États-Unis et au Canada ont perdu 2,9 milliards d’individus par rapport à 1970, ce qui représente un déclin de 29%.
Après avoir analysé les recensements de 529 espèces d’oiseaux, les chercheurs ont conclu que la grande majorité des oiseaux qui ont disparu ne sont pas des espèces menacées rares ou vulnérables, mais bien des oiseaux très communs tels que les moineaux, les juncos et les étourneaux.
HABITATS EN VOIE DE DISPARITION
Pour le biologiste Marc-André Villard, qui a arpenté la forêt acadienne pendant plus de 20 ans comme professeur et chercheur à l’Université de Moncton, nul doute que la foresterie intensive pratiquée au NouveauBrunswick a un impact sur sa biodiversité.
Le remplacement de forêts mixtes par des plantations d’épinettes affecte particulièrement les oiseaux ayant besoin de forêts matures, riches en arbres morts ou anciens, pour nicher, se nourrir ou encore pour s’abriter l’hiver.
«Pour le citoyen moyen, il est plus frappant de voir des piles d’oiseaux morts au pied d’un édifice vitré que d’entendre parler de la destruction des forêts matures ou du remblayage des milieux humides. Pourtant, la destruction des habitats de nidification ou d’hivernage fait bien des ravages dans les populations de certaines espèces», souligne-t-il.
Le scientifique a notamment étudié l’impact de coupes forestières partielles sur les chances de reproduction et le taux de survie de la paruline couronnée et du grimpereau brun. Il a chaque fois documenté une abondance plus faible des oiseaux après le passage de la machinerie lourde.
«On observe qu’après une coupe forestière les espèces qui dépendent d’arbres morts pour se nourrir ou qui utilisent des sous-bois dégagés sont défavorisées», explique-t-il.
En 2014, Marc-André Villard avait critiqué publiquement le plan d’aménagement forestier du Nouveau-Brunswick, qui a offert aux grandes compagnies un accès plus grand au bois provenant des terres publiques. Depuis, la province a fait un pas salué en matière de conservation en entreprenant la désignation de 10% des terres comme zones protégées, ce qui doublera d’ici la fin 2020 la superficie des zones dans lesquelles les activités industrielles seront restreintes.
Malgré tout, M. Villard continue d’exprimer de vives inquiétudes. «Quand on survole la province, on voit que peu de forêts ne sont pas aménagées, les oiseaux sont bombardés par des coupes aux quatre coins du territoire et ont du mal à tenir ce rythme.»
L’universitaire reconnaît qu’il est difficile de chiffrer précisément le déclin de certaines espèces réparties sur un vaste territoire et se déplaçant beaucoup. Une meilleure compréhension des effets des pratiques forestières passerait, selon lui, par l’obligation pour l’industrie de contribuer monétairement à la recherche. «Le fardeau de la preuve devrait être sur les industriels qui abîment l’habitat», plaide-t-il.
Ces contributions, estime M. Villard, devraient alimenter un fonds public afin de rompre le lien de dépendance entre les chercheurs et les entreprises qui financent leurs travaux, et ainsi limiter le risque d’autocensure. ■