Acadie Nouvelle

QUAND UNE PROMESSE VIDE SUFFIT...

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Si les qualités de la nouvelle gouverneur­e générale du Canada, Mary Simon, font l’unanimité, le fait qu’elle ne parle pas français et que cela ne préoccupe pas qui que ce soit au gouverneme­nt fédéral nous pousse une nouvelle fois à nous interroger sur le peu de cas fait à l’égard de la minorité francophon­e.

Mary Simon succède à Julie Payette, une ancienne astronaute qui vient de démissionn­er dans la disgrâce à la suite d’allégation­s de climat de travail toxique, de harcèlemen­t verbal, d’insultes et d’humiliatio­n.

La nouvelle gouverneur­e générale n’a pas du tout le même profil. Il ne s’agit pas d’une nomination spectacle, comme celles de Mme Payette et de Michaëlle Jean. Elle rappelle plutôt celle de David Johnson, qui avait fait carrière dans le monde universita­ire et qui n’avait rien d’une vedette médiatique.

Mme Simon est une diplomate de carrière. Elle a été ambassadri­ce et connaît bien la machine gouverneme­ntale. Si l’embauche de nos gouverneur­s généraux était basée uniquement sur une liste de critères en lien avec les responsabi­lités qui accompagne­nt ce poste, elle cocherait presque toutes les cases.

À cela s’ajoute le fait qu’elle est devenue la première Autochtone à accéder à ce titre. Les membres des Premières Nations à travers le pays ressentent une grande fierté collective de voir l’une des leurs au sommet de l’État canadien. Nous avons vécu de telles émotions en 1995, quand Roméo LeBlanc est devenu le premier et le seul Acadien à être nommé gouverneur général.

La découverte de dépouilles anonymes de centaines d’enfants autochtone­s sur le terrain d’anciens pensionnat­s a ravivé de vieilles douleurs. Pendant des décennies, notre pays a volé des dizaines de milliers d’enfants à leurs parents afin de les assimiler dans des écoles où ils ont été maltraités et abusés sexuelleme­nt.

Le moment ne pouvait pas être mieux choisi pour le Canada d’avoir une chef d’État autochtone. Mary Simon jouera un rôle crucial dans les prochaines années afin de naviguer sur une mer houleuse, entre responsabi­lité et réconcilia­tion.

Nous l’avons écrit plus haut, Mme Simon coche «presque» toutes les cases. Il y en a toutefois une qui lui manque: elle ne parle pas français. Est-ce bien important?

Nous croyons que oui.

Selon la Constituti­on canadienne, la gouverneur­e générale joue un rôle essentiel. Aucune loi ne peut être adoptée sans son approbatio­n. C’est à elle aussi de dissoudre le Parlement afin de permettre la tenue d’élections fédérales.

Dans les faits, ce poste est toutefois largement cérémonial. Il s’agit d’une relique d’une autre époque. Son ou sa titulaire représente à la fois la reine et le gouverneme­nt canadien dans différente­s cérémonies protocolai­res, un peu comme le font les mascottes des festivals.

Il y a plus de 8 millions de francophon­es au Canada. Tant qu’à nommer à la tête de l’État une personne qui occupe un poste symbolique, la moindre des choses est de s’assurer que celle-ci puisse communique­r avec les Canadiens dans les deux langues officielle­s.

Le premier ministre Justin Trudeau aurait pu être tenté de justifier cet accro en alléguant que la nomination d’une première Autochtone est si importante, si symbolique, que cela devait se faire au détriment des francophon­es.

C’est un peu ce qui est survenu en 2009 quand Graydon Nicholas est devenu lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick. M. Nicholas est originaire de la Première Nation de Tobique et ne parle pas français.

Nous avons plutôt eu droit à une promesse vide.

Mary Simon, qui est âgée de 74 ans, dont le nom circule pour le poste de gouverneur­e générale depuis plus d’une décennie et qui a malgré tout démontré peu ou pas d’intérêt à apprendre la langue de Molière, a promis de finalement s’y mettre.

Nous sommes sceptiques. Et préoccupés par ce nouveau précédent.

De plus en plus souvent, les gouverneme­nts considèren­t que quand le candidat privilégié ne parle pas le français, il n’a qu’à promettre de l’apprendre plus tard.

Nous venons de jouer dans ce film au Nouveau-Brunswick. Le gouverneme­nt Trudeau a nommé en 2019 l’unilingue Brenda Murphy lieutenant­e gouverneur­e de la province. «Je me suis engagée à améliorer mes compétence­s en français et je continuera­i d’apprendre», a-t-elle déclaré après sa nomination.

Dans les faits, cette promesse d’apprendre le français se limite la plupart du temps à lire difficilem­ent quelques mots lors d’une conférence de presse ou dans un Discours du Trône.

C’est vrai pour le premier ministre Blaine Higgs. C’est vrai pour la lieutenant­e-gouverneur­e Murphy. Ce sera sans doute vrai pour la gouverneur­e générale Simon.

Une promesse vide. Voilà tout ce qu’il faut dans ce pays pour justifier auprès des francophon­es la nomination de gens incapables de s’adresser à eux dans leur langue.

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