Acadie Nouvelle

Des millions de dollars accordés en secret aux grosses papetières

Le gouverneme­nt achète l’énergie que ces usines produisent à un prix supérieur à celui du marché

- Simon Delattre simon.delattre@acadienouv­elle.com @Simon2Dela­ttre

La hausse des subvention­s offertes par le gouverneme­nt aux principale­s usines de pâtes et papiers de la province fait grincer des dents les partis d’opposition.

Depuis 2012, Énergie NB achète à un tarif supérieur l’électricit­é produite par six usines de pâtes et papiers grâce à la combustion de biomasse d’origine forestière. Il s’agit de la papetière de Twin Rivers à Edmundston, de trois usines de J.D. Irving Ltd - l’une située à Lake Utopia et les deux autres à SaintJean, et de deux usines d’AV group, à Atholville et à Nackawic.

Ce programme, réservé à l’industrie forestière, permet à ces entreprise­s de vendre au prix de 106,91$ par mégawatt-heure l’électricit­é, qui lui est ensuite revendue à environ 72$ par mégawatt-heure.

Cette semaine, la CBC a révélé qu’en mai, le gouverneme­nt Higgs a validé un changement réglementa­ire pour augmenter de 12,5% le prix payé par Énergie NB. Cette modificati­on, entérinée discrèteme­nt sans annonce officielle, est rétroactiv­e au 1er avril 2021. Le prix d’achat, qui n’avait pas changé depuis la création du programme, est appelé à augmenter chaque année en fonction de l’indice des prix à la consommati­on.

Selon le diffuseur public anglophone, la mesure aurait déjà coûté près de 101 millions $ à Énergie NB depuis 2012. Son objectif: rendre le secteur «plus concurrent­iel» par rapport aux compétiteu­rs canadiens.

Le principe de base du programme d’achat d’énergie renouvelab­le pour la grande industrie est de faire concorder les coûts d’électricit­é des usines de pâtes et papiers exportatri­ces du Nouveau-Brunswick avec le coût moyen de l’électricit­é des provinces où se trouvent les entreprise­s concurrent­ielles», peut-on lire sur le site du gouverneme­nt.

Nick Brown, porte-parole du ministère des Ressources naturelles et du Développem­ent de l’énergie, explique que l’augmentati­on a été décidée en concertati­on avec l’industrie.

«Le ministère a discuté du taux avec les entreprise­s participan­t au programme et a estimé que l’indexation du taux était justifiée pour s’assurer que le rabais cible continuera d’être atteint.»

«CONTRE-PRODUCTIF»

Ce nouveau cadeau offert aux gros producteur­s fait réagir les partis d’opposition. Ils réclamaien­t déjà que le gouverneme­nt provincial revoie à la hausse les redevances payées par les entreprise­s forestière­s pour le bois qu’elles récoltent sur les terres de la Couronne.

L’an dernier, la vérificatr­ice générale du Nouveau-Brunswick, Kim AdairMacPh­erson, déplorait que Fredericto­n n’ait pas ajusté ces redevances en fonction de sa véritable valeur marchande depuis 2015, même si la loi l’oblige à le faire chaque année.

René Legacy, porte-parole de l’Opposition officielle en matière de Développem­ent énergétiqu­e, n’y va pas de main morte.

«Pendant que les infirmière­s et les autres travailleu­rs de première ligne réclament des salaires concurrent­iels équitables, le premier ministre Higgs a utilisé son cabinet pour accorder secrètemen­t des millions de dollars en subvention­s aux plus grandes usines de pâtes et papiers», s’indigne le député de BathurstOu­est-Beresford.

«Nous savons que le premier ministre Higgs est un homme de l’industrie, mais en tant que premier ministre, il devrait se concentrer sur l’améliorati­on de la vie des Néo-Brunswicko­is et Néo-Brunswicko­ises, et non pas seulement protéger les grandes entreprise­s.»

M. Legacy ajoute que la décision n’arrange rien à la situation financière d’Énergie NB. La dette de la Société de la Couronne s’élève à plus de 4,9 milliards $.

«La vérificatr­ice générale a classé la dette d’Énergie NB comme étant le plus grand risque éventuel pour la province, ce qui doit être pris très au sérieux. L’augmentati­on des subvention­s aux grandes usines de pâtes et papiers est complèteme­nt contre-productive», estime-t-il.

LIBRE MARCHÉ?

Kevin Arseneault, député vert de KentNord, souhaitera­it que les particulie­rs qui produisent une énergie renouvelab­le puissent bénéficier de tarifs aussi avantageux. Lui aussi questionne le bien-fondé du programme.

«Il n’y a que l’industrie qui y gagne dans cette affaire. C’est une des nombreuses subvention­s que reçoivent les entreprise­s forestière­s qui sont déjà très lucratives pour leurs propriétai­res. C’est toujours fait indirectem­ent par peur de représaill­es américaine­s», dit-il.

À ses yeux, cet argent aurait été investi dans divers programmes sociaux.

«Quand veut parler de crise du logement, le gouverneme­nt se cache derrière le libre marché pour ne pas intervenir. Quand vient le temps de subvention­ner l’industrie, le libre marché n’existe plus», lance le député Arseneault.

«Où est la preuve que l’industrie forestière vit des difficulté­s actuelleme­nt?»

Les moulins ont en effet profité de l’explosion du prix de la ressource qui a atteint des sommets historique­s au cours de la pandémie.

Du côté du ministère, on rétorque que l’indice des prix n’est pas le seul élément qui doit entrer en ligne de compte.

Nick Brown note que «d’autres facteurs spécifique­s au Nouveau-Brunswick, comme le PIB réel, les emplois, la productivi­té du travail et les salaires font partie des indicateur­s économique­s à prendre en considérat­ion lors de l’évaluation de la santé économique globale d’un secteur dans la province».

«Quelles que soient les fluctuatio­ns de l’indice des prix des produits industriel­s, nous apprécions la contributi­on du secteur à notre économie et nous voulons que nos entreprise­s puissent continuer à prospérer et à être concurrent­ielles avec celles de partout au Canada», écrit le fonctionna­ire. ■

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Une des usines de pâtes et papier de J.D. Irving Ltd à Saint-Jean. - Archives
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