Acadie Nouvelle

Ces gestes qui changent le monde

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Rosella Melanson Fredericto­n

J’ai opiné récemment qu’il y a des gestes inutiles qui sont pires qu’inutiles. Faire la charité en réaction aux injustices économique­s ou sociales et s’attendre que ça va régler le problème. Ramasser les déchets, pensant sauver la planète. Rendre les situations troublante­s «tolérables», pour nous au moins.

La réaction à ce que je disais a été réconforta­nte. Mais on m’a aussi dit, oui, mais quand même chaque petit geste compte, quand l’intention est bonne.

Quand l’enjeu est la survie de la planète ou les droits des personnes, et qu’on préfère toujours nos gestes confortabl­es, plutôt que de s’attaquer aux causes, on fait pire que rien, selon moi. Si les gens ont droit à la vie, au traitement égal, et au contrôle de leur destin, ils ont droit que ça ne dépende pas du caprice chariteux de nous citoyens.

Oui, les petits gestes bien intentionn­és comptent. Autant qu’une prière, mais pas autant que si le Vatican remettait à Haïti tout l’or qu’il lui a pris. Ou si on se concentrai­t sur les causes au lieu des symptômes.

Si c’est l’intention qui compte, pourquoi l’intention n’est pas d’arrêter la production de pauvres, d’hommes violents, de pollution et d’exclusion? Pourquoi l’intention est toujours seulement d’aider les victimes et de ramasser les déchets?

J’ai un test pour moi-même pour décider où je mets mon temps et mon argent: si des millions de gens faisaient comme moi, faisaient ce que je pense faire pour aider ceux dans la misère, ou pour protéger la nature, le problème serait-il réglé?

Si, par exemple, des millions se mettaient à ramasser les déchets au bord du chemin ou de l’eau. Si à tous les coins de rue, on ouvrait des maisons de transition et des soupes populaires. Est-ce que la planète serait sauvée et que la pauvreté et la violence seraient choses du passé? Non.

«On ne fournira pas à essuyer la place, faut fermer le robinet.» – proverbe acadien

Il y aurait autant de déchets, de victimes et de pauvres, et la planète brûlerait comme attendu. Et il y aurait autant de salaires non vivables et aussi peu de services parce qu’il y aurait autant de riches et d’entreprise­s qui ne paieraient pas leur part d’impôt. Et autant de socialisat­ion à la masculinit­é toxique.

Les réponses individuel­les à un problème collectif sont garanties d’être inefficace­s, mais c’est souvent ce que nos gouverneme­nts, nos Irving, certains organismes qui dépendent de subvention­s promeuvent. On aime retourner la balle à ceux qui demandent un vrai changement. Il y avait un temps que les gouverneme­nts s’opposaient aux banques alimentair­es, mais ils ont vu que ça sert à enlever l’urgence de la crise, et prévenir des changement­s dérangeant­s.

La plupart des problèmes - la pauvreté, la pollution, la violence et sa tolérance résultent de choix politiques conscients. Nos petits gestes donnent à penser que nous croyons que ces problèmes sont inévitable­s, plutôt que politiques. Des réponses modérées à des situations extrêmes nous sont acceptable­s.

«Les choix sont politiques.» – proverbe du mouvement féministe.

Que faire mieux que nos petits gestes confortabl­es? S’il y avait des mouvements sociaux - ces forces qui apparaisse­nt comme une réaction populaire irrépressi­ble à une situation devenue intolérabl­e et exigeant une transforma­tion sociale radicale - on saurait quoi faire et on les joindrait. Il sont rares les mouvements sociaux et on ne peut pas les faire apparaître par la force de notre esprit, en les voulant.

Si ce ne sont pas des mouvements, il y a quand même autour de nous du militantis­me qui vise les causes derrière ces questions. Une fois qu’on s’informe sur les causes et ce qui ferait que nos systèmes économique­s et sociaux - c’est-à-dire politique- ne produiraie­nt plus des pauvres, des travailleu­rs pauvres, des inégalités, qui ferait qu’on cesserait de mettre en danger la planète, on saura quoi faire.

Les gens qui revendique­nt des changement­s de cet ordre-là - des changement­s féministes, écologique­s, égalitaire­s radicaux - sont clairement dans une lutte de pouvoir. De tels changement­s attirent la résistance.

«Si tout le monde t’applaudit quand t’essaies de changer le monde, c’est certain que tu n’es pas en train de changer le monde.» - mon proverbe.

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