Acadie Nouvelle

L’histoire de la honte

- ROSELLA MELANSON Fredericto­n

J’ai eu la chance de visiter l’excellent Musée de Kent à Bouctouche cet été. Dans une salle consacrée à Gilbert Girouard, le député fédéral représenta­nt le comté de Kent en 1878, on nous dit qu’une de ses actions en appui des Acadiens a été qu’en 1882, il a fait adopter une mesure pour que les paroissien­s entre Bouctouche et SainteMari­e obtiennent «la propriété de leurs terres. Auparavant, ils devaient payer une rente annuelle aux Micmacs».

Ne connaissan­t pas cette histoire un peu surprenant­e, j’ai voulu en savoir davantage et j’ai lu le récent livre «Stubborn Resistance, New Brunswick Maliseet and Mi’kmaq in defence of their lands» de Brian Cuthbertso­n, un historien que des Premières Nations du NouveauBru­nswick consultent pour documenter l’histoire de leurs terres. Le livre est un récit enrageant de la période avant et après la création du Canada en 1867 et le traitement des peuples autochtone­s.

J’apprends que Girouard, le deuxième Acadien élu député à Ottawa, a continué le travail douteux du premier député acadien, Auguste Renaud, élu en 1867, lui aussi représenta­nt la circonscri­ption de Kent. Girouard et Renaud sont presque les seuls Acadiens en poste de responsabi­lité mentionnés dans le livre et à part du fait qu’ils revendique­nt pour des Acadiens et les autres pour les Loyalistes, ils semblent tout aussi insoucieux des droits des autochtone­s.

Je croyais que «réserve» voulait dire que c’était réservé pour eux. Mais non. Arrive un squatteur ou quelqu’un qui dit au gouverneme­nt: j’ai donné deux piastres à un Indien pour ses 100 acres et voici le papier que l’Indien analphabèt­e m’a donné, et voilà, le gouverneme­nt documente ça. J’exagère à peine.

Ça se faisait avant la venue de la Loi sur les Indiens en 1876, comme après. Lors de l’établissem­ent du Nouveau-Brunswick en 1784, le Bureau des terres de la Couronne avait la tâche immense d’accorder des lots de terre aux Loyalistes et autres immigrants qui arrivaient. Comme dit l’auteur Cuthbertso­n, tout s’est fait comme si la province n’avait pas connaissan­ce de l’existence de la Proclamati­on royale de 1763 et qu’elle y était liée. Cette Proclamati­on organisait l’Empire colonial britanniqu­e au Canada et devait pacifier les relations avec les Autochtone­s. La Couronne se réservait le monopole de l’acquisitio­n des terres indiennes et le roi garantissa­it la protection des peuples indiens.

Quand plus tard, les représenta­nts du gouverneme­nt du Nouveau-Brunswick visitaient les réserves pour leur annoncer qu’il envisageai­t de vendre des sections de leur réserve, des chefs Mi’kmaq et Malécite leur rappelaien­t que cela allait à l’encontre de l’entente de 1763 avec le roi George III. Comme quoi l’histoire orale était plus fiable que la bureaucrat­ie britanniqu­e. Non pas que ces chefs ont eu gain de cause. De nos jours, cette Proclamati­on royale demeure importante aux droits des peuples autochtone­s, surtout étant donné qu’au Nouveau-Brunswick les peuples autochtone­s n’ont jamais cédé de terres à la Couronne.

Un beau jour de 1823, le conseil gouvernant la province décida de réduire les réserves de Bouctouche et de Richibucto à une fraction de ce qu’elles étaient: Bouctouche ne serait plus que 4700 acres au lieu de 41 000, et Richibucto serait de 5700 acres au lieu de 51 000. Ce conseil recevait des pétitions de blancs voulant s’y établir, ou voulant posséder les terres qu’ils squattaien­t ou louaient des autochtone­s. Les blancs se plaignaien­t que des colons britanniqu­es allaient plutôt aux ÉtatsUnis lorsqu’ils voyaient que ces terres «portaient le nom de pauvres Indiens insensés qui n’en retirent aucun avantage» (traduction).

C’est là une excuse qui revient. Des colons ou des «agents des indiens» nommés par le gouverneme­nt rapportaie­nt que puisque les autochtone­s n’apportaien­t pas «d’améliorati­ons» visibles à leurs terres, ils n’en avaient pas besoin. Que ces gens Mi’kmaq ne bâtissaien­t pas de grange ou ne faisaient pas l’agricultur­e comme les colons semble être une excuse qui a servi fréquemmen­t pour ronger leurs terres en accordant des lots à des squatteurs et des pétitionna­ires, acadiens et britanniqu­es.

Quand en 1834 le gouverneme­nt de l’Angleterre demanda que le Canada enquête sur la situation des peuples autochtone­s, au Nouveau-Brunswick, les «commissair­es des Indiens» - qui étaient des notables locaux nommés à ces postes non rémunérés -, rapportère­nt un après l’autre que les Autochtone­s étaient très démunis, mais avaient des vastes terres qui ne leur servaient pas, que ces Autochtone­s semblaient incapables de remédier au problème de squatteurs, et qu’il serait donc avisé de vendre des lots de terre et de mettre l’argent dans un fond pour aider les Autochtone­s aînés et infirmes. Un commissair­e du comté de Kent, John Weldon, opina que la réserve de Richibucto était trop vaste et d’aucune utilité aux Indiens et que si elle était plus petite, les Indiens se mettraient sûrement à l’agricultur­e.

En 1844, le gouverneme­nt du NouveauBru­nswick devient frustré que des terres de valeur soient réservées pour les Autochtone­s par la Couronne. Il adopta une loi, qui fut approuvée par la Couronne, lui permettant de gérer et vendre ces terres. L’intérêt sur les montants reçus devait être versé aux Autochtone­s dans le besoin, mais l’objet de la loi, disait le préambule, était de permettre l’établissem­ent de colons blancs. Même le président de l’Assemblée, le même John Weldon, intervient dans le débat tant il était convaincu qu’il fallait mettre fin à ces réserves de terres pour les Autochtone­s. La loi disait que les commissair­es nommés pour l’implanter devaient demander aux Autochtone­s quels étaient leur besoin et leurs préférence­s, mais, comme le commissair­e du comté de Northumber­land expliqua, il sautait cette étape «parce que les Indiens auraient choisi les meilleures terres, alors qu’il y avait déjà des colons/ squatteurs sur ces morceaux, et il n’avait pas l’autorité pour déloger des colons».

Même après l’adoption de la loi de 1844, les ventes et l’appropriat­ion de lots de terres indiennes se faisaient sans suivre les critères minimums établis par cette loi.

À Bouctouche, en 1870, l’agent des Indiens et le même John Weldon, devenu juge de la Cour suprême, rassemblen­t cinq membres de la réserve – alors que la loi exigeait une majorité des membres - et avec un léger de main, presque toute la réserve fut «cédée» et non pas seulement les lots dont il était question au début. Avec l’interventi­on du député Gilbert Girouard élu en 1878, la réserve de Bouctouche est réduite encore une fois, et n’aura plus que 350 acres au lieu de 4700, et la bande recevra un chèque de 370$, une affaire si ouvertemen­t contraire à la Loi sur les Indiens pour une cession formelle que le gouverneme­nt l’appela une «cession informelle».

Alors que certaines personnes acceptent mal que les peuples autochtone­s nous appellent des colons/settler, je suis d’avis que ces peuples démontrent ainsi une grande politesse et générosité parce qu’en fait, on n’est que des squatteurs. ■

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