Acadie Nouvelle

DES LECTURES HISTORIQUE­S INSPIRANTE­S POUR LE 15 AOÛT

- SYLVIE MOUSSEAU

On dit que l’histoire permet de mieux comprendre le présent et peut-être même de se représente­r l’avenir. Je vous propose donc deux romans bien documentés qui traitent d’épisodes différents de l’histoire acadienne particuliè­rement inspirants.

ACADISSIMA, Jean-Louis Grosmaire

Avec ce roman de l’auteur d’Ottawa d’origine ivoirienne, on recule de plus d’un siècle au temps de la Première Guerre mondiale et du bataillon acadien. Acadissima, c’est l’épopée de deux jeunes Acadiens, Jean-Baptiste Beausoleil et Angelaine Kirouac, qui s’aiment alors que la guerre fait rage en Europe. L’histoire débute en 1915. Fils d’un bûcheron et pêcheur, Jean-Baptiste qui vit pauvrement à Fond-des-Brisants près du village de Piligan (noms fictifs), se retrouve seul à 17 ans après la mort de sa mère Jeanne, son père étant décédé deux années plus tôt. Après avoir travaillé comme homme à tout faire pour le médecin du village, il décide de s’enrôler dans le bataillon acadien. Il quitte alors les côtes acadiennes pour la France.

À sa grande surprise, au lieu de combattre au front, il se retrouve dans le Corps forestier canadien dans les montagnes de la Franche-Comté. Les soldats canadiens travaillen­t sans relâche à abattre des arbres pour l’armée. Le bois sert notamment à construire des tranchées. Ce n’est pas la guerre que s’imaginait Jean-Baptiste. Celui qui était plutôt chancelant à l’idée de s’enrôler regarde le monde qui l’entoure en apportant des réflexions souvent pleines de sagesse. À travers la correspond­ance entre Angelaine et Jean-Baptiste, on en apprend davantage sur la vie dans ces camps forestiers. Il se désole de voir ces grands arbres tomber au profit de la guerre. «On puisait dans cette forêt les soutiens aux tranchées où une foule d’autres jeunes perdaient la vie. Le bois de la Comté, lui aussi, comme les gens et les animaux, payait un lourd tribut.»

De son côté, Angelaine qui doit subir les soubresaut­s de sa mère contrôlant­e raconte sa vie au village. Au fil du récit, elle se libère de l’emprise de sa mère pour trouver sa propre route.

Ce roman aborde une tranche de l’histoire de la Première Guerre restée un peu dans l’ombre, celle du travail méconnu des soldats canadiens et acadiens dans la forêt française. C’est très intéressan­t. Ce que j’ai aimé particuliè­rement de ce livre est l’échange de lettres entre les deux protagonis­tes, apportant ainsi un regard personnel sur ce qui se produit dans leur vie. On voit aussi que l’auteur s’est bien documenté sur l’époque et qu’il arrive à rendre cette histoire avec beaucoup d’émotion. Jean-Louis Grosmaire qui est professeur de géographie est l’auteur de plus de 20 ouvrages. Acadissima est en lice pour le Prix France-Acadie. (Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2021). ♥♥♥½

INFINI, Jean Babineau

Si vous n’avez pas encore lu ou que vous avez envie de relire ce roman historique atypique de Jean Babineau, c’est une belle occasion de replonger dans la saga entourant la création du Parc national de Kouchiboug­uac et des expropriés. L’auteur relate cette affaire avec originalit­é en suivant le parcours de Jackie Vautour. Plus de 200 familles dans sept villages acadiens ont été chassées de leur maison en échange d’une maigre compensati­on lors de la création du Parc national en 1969. La bataille des expropriés et de Jackie Vautour qui s’est étendue sur plus de 60 années a été abondammen­t médiatisée.

En optant pour la forme romanesque, Jean Babineau va au-delà des faits en naviguant entre la réalité et la fiction. Aux côtés de personnage­s réels, viennent se greffer des personnage­s fictifs comme Emma Kelly qui se balade sur la plage Kelly au début du récit.

On suit l’histoire de ce drame, étape par étape: l’expulsion, les nombreuses arrestatio­ns, les comparutio­ns devant les tribunaux, le séjour de la famille de Jackie Vautour au Motel Habitant et son retour sur ses terres. Décédé en février dernier, le rebelle qui a mené une lutte acharnée n’a jamais reconnu l’existence du parc. Le titre

Infini fait d’ailleurs référence au fait que cette saga ne se terminera peut-être jamais. C’est en partie à travers le regard de Paul Doucet qui écrit un livre sur le parc que l’histoire nous est présentée. On n’entre pas vraiment dans les émotions des personnage­s. C’est le récit qui est à l’avant-plan presque comme un reportage, mais avec des libertés, des points de vue et une certaine subjectivi­té. Quand il est question des personnes qui détiennent le pouvoir, on peut percevoir de l’ironie. Ce qui est le plus singulier dans cette fiction historique, c’est certaineme­nt les moments où le fantastiqu­e colore la réalité. J’ai adoré la transforma­tion de Jackie Vautour en balbuzard qui s’envole dans le ciel ou encore toutes ces références aux coques parfois assez loufoques. Il y a aussi beaucoup d’éléments poétiques dans ce livre. Parfois, on peut s’y perdre, mais c’est résolument un roman qui vaut le détour. Infini est le quatrième roman de Jean Babineau qui a mené des recherches sur plusieurs années. (PerceNeige, 2019). ♥♥♥½

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