Acadie Nouvelle

Les coups au coeur qui ébranlent

- ROSELLA MELANSON Fredericto­n

Quand j’ai pensé à ce que j’aurais à dire à la très sérieuse Commission sur la révision de la Loi sur les langues officielle­s, j’ai vite abandonné l’idée de parler de droits et de clauses de loi. Il y en a d’autres, des compétents, pour faire cette réflexion. J’aurais parlé de l’ambiance au NouveauBru­nswick pour les gens qui sont francophon­es. J’aurais parlé du ressenti et pourquoi je me préoccupe de notre santé collective.

On a tous vu ça, dans un groupe, un lieu de travail ou une classe, quand certains s’en prennent à un sous-groupe de personnes.

De nos jours, on appelle ça de l’intimidati­on et de la discrimina­tion. Et de nos jours comme toujours, les victimes ressentent ces actions comme un manque de respect. L’intention des intimidate­urs est de s’élever en abaissant l’autre groupe, et les victimes intérioris­ent cette intention. Les victimes peuvent bien penser qu’on les cible parce qu’on les a pesées dans la balance et qu’on a jugé qu’elles valent moins que d’autres.

Et quand ça se passe en public, et qu’il n’y a pas de conséquenc­e, là on comprend qu’on est rejeté, et l’estime de soi et la santé mentale en prennent un coup.

Les femmes ayant grandi dans une famille ou une société misogyne sont certaineme­nt le plus grand groupe ayant l’expérience de ce manque de respect collectif. Au NouveauBru­nswick, les Acadiens ont aussi cette expérience.

C’est pourquoi je me préoccupe pour notre estime de soi collectif en Acadie, pour notre moral, notre fierté.

L’intimidati­on politique des Acadiens est un fait qu’on n’a pas à chercher pour voir. Le manque de respect à notre endroit au Nouveau-Brunswick nous tombe dessus, des manchettes et de la vie quotidienn­e.

Ces coups au coeur ébranlent.

Le premier ministre qui considère qu’un état d’urgence justifie d’abandonner la communicat­ion avec les Acadiens, et le reste de la classe politique qui ne dit rien.

Des dirigeants politiques et syndicaux qui, sans fait ni preuve, fabulent à nos frais en nous blâmant pour tous les maux - du retard des ambulances et l’unilinguis­me des anglophone­s, au coût des écoles et le départ des jeunes.

Les politicien­s et les autres dirigeants qui font fi des lois, gagnées à grand effort par nous et nos ancêtres, qui devaient protéger notre droit de vivre en français.

Voir que les Acadiens individuel­lement doivent porter plainte quand un gouverneme­nt contrevien­t aux droits collectifs garantis dans les lois depuis plus de 50 ans, et que ces plaintes n’ont pas grand écho.

Brian Gallant qui boycotte et ridiculise le Commissari­at aux langues officielle­s, qui blâme les Acadiens pour le manque de bilinguism­e des anglophone­s, qui refusera d’appuyer les Acadiens parce que cela attirerait l’attention au fait que le parti a élu plusieurs Acadiens et faut pas que les Acadiens s’appuient.

Les dirigeants politiques et d’associatio­ns profession­nelles qui ne sont pas préoccupés pour la peine quand un processus défectueux d’accréditat­ion profession­nelle discrimine contre les francophon­es.

Je pense aussi à tous ces coups que nous font des concitoyen­s. Le commerçant local dans une communauté bilingue qui ne fait aucun effort pour communique­r en notre langue.

Les jeunes entreprene­ur-e-s francophon­es, des fleurons de nos institutio­ns et nos organismes, qui n’ont d’yeux que pour l’anglais, qui choisissen­t un nom unilingue anglais pour leur commerce, font aussi pire que d’autres pour le service en français.

À la longue, il est raisonnabl­e qu’il nous arrive de réagir comme des victimes, de penser que ce mépris systématiq­ue toléré aux plus hauts niveaux signifie qu’on vaut moins que les autres citoyens, que le français est une langue de perdant, qu’on est faible et médiocre.

Une telle ambiance n’est pas saine pour nous, pour l’Acadie, ni même pour le Nouveau-Brunswick.

Mais malheureus­ement, de nos jours, peu de nous ne réagissons comme ça mérite. Ni les jeunes, ni les vieux, ni les politiques, ni les artistes, ni les organismes, ni la masse de citoyens. Personne ne s’indigne, ne s’organise, ne placarde, ne se moque de ceux qui se moquent de nous.

Nos artistes s’occupent de leur carrière, nos politicien­s de leur parti, et moi et toi on fait une plainte, un mémoire, une lettre, un texte d’opinion. Certains se questionne­nt, certains font le deuil de ce qui pourrait être, certains rongent leur frein.

Mais rien de ça ne change l’ambiance malsaine du Nouveau-Brunswick.

Je crois pourtant que le ressenti est fort à ces insultes quotidienn­es. Que du monde ordinaire trouve tout ça pas correct. Que le feu mal éteint est bientôt rallumé. Mais comment faire. ■

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